Monsieur,
Bien que depuis mon retour de Paris chez moy ma plume ait faict quelque intermission de vous entretenir, il n'y a point eu de mon affection à vous parler aussy souvent par désir, comme la chose mesme m'a esté douce et aggréable quand j'ay eu ce bonheur d'en jouir. Et certaynement j'attendois à me ramentevoir à vostre souvenir que j'en veisse naistre quelque bonne ocasion, mais pour cela je craindrois que le delay fust trop long. C'est pourquoy je rentre volontiers en nostre précédente lice de communication.
Il est vray que monsieur le prince d'Aurange a triomphé de Grole et sa majesté des Angloys, mais d'un costé on nous représente les forces d'Autriche fort grandes au voysinage de messieurs les Estatz sur lesquelz elles pourroient bien fondre s'ilz viennent à bout du roy de Dennemark, et de l'autre le désespoir, qui est tousjours mauvais conseiller, pouvant transporter les Rochelois à faire quelque saut aussy périlleux pour la France que pour leur propre liberté, ces prospéritéz semblent destrempées d'autant de crainte pour l'avenir, comme plusieurs y croyent trouver pour le présent matière de joye. Mais le meilleur juge de tout cela sera le temps mesmes, qui y fera veoir clair à ceux qui vivront lors.
Pour moy je ne pense qu'à sortir des mains des maçons et à mon épithaphe, n'ayant plus autre désir en cette mienne inutilité que de bien conclure la vie qui m'a accompagné par delà ma soixante et uniesme année. Vers la fin de laquelle il ne me reste si bon goust d'aucune chose, que du souvenir de mes chers amis, entre lesquelz je sçay quel rang vostre mérite et bienveillance vous ont aquis: et pour la curiosité je n'en ay que d'apprendre leur bon estat, ou du moins celuy qu'ils espèrent devoir estre tel. C'est ce qui m'induit à vous convier me faire part de ce que vous a raporté cette autre vous mesmes tant de vostre public, que de ce qui vous concerne, et si quelque astre plus favorable ne commence point de vous regarder de meilleur oeuil: ce que je souhaiteray tousjours passionnéement jusques à ce que j'en voye le succez répondant à ma longue attente.
Icy, bien qu'au voysinage de l'armée, nous aprenons peu de choses certaynes, tout ce qui s'en raporte, estant de la couleur des passions de ceux qui parlent, tellement que la verité nous en vient d'où vous estes, et c'est pourquoy je ne m'y estens point, mais seulement à vous dire que durant cette contagion que l'on nous
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disoit infester vostre ville, j'ay esté en sollicitude de vous et de vostre famille, à laquelle je désire seureté, santé et prospérité comme à la mienne propre. Sur quoy saluant bien humblement vos bonnes grâces et de madlle. vostre femme, comme faict la maistresse de cette maison2, il ne me reste qu'à vous protester que je suis de plus en plus pour tout le reste de ma vie,Monsieur,
Vostre bien humble et très affectionné amy
et serviteur
Dumaurier.
De La Fontayne dangé ce 27e. Novembre 1627.
Adres: A Monsieur Monsieur Grotius A Paris.
In dorso schreef Grotius: 27 Nov. 1627. du Maurier.