Monseigneur,
J'ay bien de l'obligation à vostre Excellence des tesmoignages qu'elle m'a donnéz par sa lettre du VIII.me de ce moys2, de la continuation de l'honneur de ses bonnes grâces en conséquence des bons offices que le S.r baron d'Osterwic3, ambassadeur de messieurs les Estats, m'a daigné rendre auprez d'elle dont nous attendions le retour en France en bonne dévotion regrettans l'occasion du voyage qui le vous a ravi quasi aussitost, que vous aviez commancé d'en gouster la doulce conversation, mais puisque ce n'est que pour ses inthéretz domestiques il y a apparence, que son absence ne pourra attendu la necessité des urgentes affaires publiques, qui sont à présent sur le tapis, et ce que la nation suédoise y contribüe de valeur pour la liberté de tout le reste de la chrétienté, qui s'en alloit quasi opprimée sans eux faict grandement admirer les favorables succez de ce que vostre intervention y a opéré et les effects d'en espérer de la providence Divine qui a sceu tirer
233
ce fruict du malheur particulier et des persécutions, que votre personne avoit rancontré dans sa patrie pour l'obliger à se donner en adoption à ceste belliqueuse nation comm'elle a généreusement sceu faire, et à rechercher ou accepter une si digne et si honnorable occasion de retraicte parmy les Françoys dont la nation n'est pas moings belliqueuse ne moings méritante du public en toutes les guerres et occurrences présentes non plus que moings digne de posséder comme je prie à Dieu, qu'elle face longtemps le bonheur de vostre sesiour auprez de son roy4 et la participation, qui luy peult escheoir en l'honneur que vous faictes en ces nations septentrionalles par voz louables travaulx sur ces belles histoires de Procope5 espérant, qu'aprez le gothique et la vandalique vous vous laissez enfin persuader comme touts voz amys et serviteurs sont obligez de vous en coniurer de poursuivre et de donner tout le reste ensemble, que le public ne sçauroit tenir de meilleure main que la vostre et dont il le semble avoir si patiemment souffert la privation et l'interdiction de son usaige hors de si peu de gens qui en avoient eu la communication, que pour vous en avoir une plus grande et plus méritoire obligation de toute sorte de redevances.C'est pourquoy j'ose vous supplier de ne pouvoir faire l'un sans l'autre toutes les oeuvres de cest autheur ayant grand besoing de vostre main secourable et certaine dépendance entre elles, qui ne souffre pas, qu'elles soint commodement veües les unes sans les autres.
Pour le Porphyre6 iusques icy il ne s'est rien trouvé dans la Bibliothèque de S.t Laurens de Florence qu'un certain volume d'une catherne ou sont seulement alléguez quelques passages et fragments de l'oeuvre dont est question. Mais de suite entière du texte il ne s'en est point trouvé au moings à la disposition des amys que j'y ay employez à ceste recherche.
J'ay pourtant réitéré mes instances pour en faire faire une plus exacte perquisition et vouldroys bien avoir de meilleurs moyens de vous tesmoigner ma dévotion partout où se pourront estendre mes forces et mon petit crédit.
Quant à l'ouvraige d'Henoch7 je vous remercie très humblement de l'advis, qu'il vous plaict me donner. Desià M.r Holstenius8 m'avoit adverty de Rome, qu'il vous avoit aultres foys ouy parler non s[e]ulement du texte grec que vous disiez en avoir rancontré quelque part, mais de quelque part, que vous y aviez faict dessus, dont il me tardoit bien de vous supplier de n'en pas frustrer plus longuement le public. Et si c'estoit chose, que vous voulussiez différer, et dont il ne vous fust pas grief de nous octroyer cependant la communication, vous m'obligerez grandement, quand ce ne seroit que la version de cez fragments du texte, que feu
234
Mons. de la Scala9 a insirés dans son Eusèbe10 desquels je vouldroys bien voir vostre version et voz sentiments, s'il ne vous estoit incommode, et sçavoir, si vous n'aurez pas veu quelque part le M.S. d'où Mons.r de la Scala l'a tirez, car il n'en dict rien et nous laisse en peine d'en chercher la source pour iuger de l'authorité et de la foy probatoire de cette pièce.J'estime bien que comme aux choses apocriphes il y a souvent des choses mal compatibles, qu'il en a négligé une bonne partie, mais je vouldroys bien en avoir peu iuger aussi selon mon petit sens et en pouvoir tirer les conséquences, qui y peuvent escheoir. Tant est que mon volume Aethyopien est beaucoup plus gros, que ne pourroit estre la version de ce peu, que Mons.r de la Schala en a donné, et j'attends bien impatiemment l'arrivée du bon P. Capucin11, qui m'a promis de travailler à la version entière de tout le volume, où il pourroit bien se prévaloir, je m'assure, de ce que vous pouvez avoir desià faict sur les dicts fragments du texte grec.
C'est pourquoy je vous supplie très humblement de nous en vouloir laisser prendre un peu de communication, s'il est loisible et de disposer tant plus absolument de moy en revanche comme vostre Excellence peult et doibt faire, Monseigneur, de vostre E.
de Peiresc.
A Aix ce 20 avril 1637.