Monsieur,
Il est arrivé derechef un gran malheur aux Espagnols dans le Milanois, car après avoir secouru le chasteau de Tortone avec 300 fantassins, les François fort piquez de ce secours ont voulu jouer à la desesperée et ayant dressé une bien haute batterie et preparé deux grandes
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mines ils en accommoderent tellement le chasteau2 que les assiegez commencerent à parlementer et demander congé d'envoyer au gouverneur de Milan, qui se tenoit à Pontecuron3 avec son armée proche de là, pour l'adviser de bon heure de leur necessité, ce qui leur fut octroyé, mais au lieu de leurs gens l'on y a envoyé un trompette par lequel le gouverneur ayant demandé quelque peu de jours pour se resouldre à ce qu'il auroit à faire, et le duc de Longheville4 l'en ayant refusé tout à plat, ceux de chasteau se sont rendus à des bonnes conditions, en estans sortis avec deux pieces de canon, balle en bouche5 et tambour battant.Tout le Milanois en est en grandissime espouvante. Mesmes le gouverneur de Milan s'est retiré de Pontecuron à Alexandrie et fait faire des gardes dans la ville de Milan6 avec mille soldats, criez aussy bien chaudement au secours, qu'on ne luy sçauroit bonnement envoyer que par les Grisons. Et si les princes d'Italie ou l'empereur ne le soustien[n]ent, le Milanois sera en danger de se perdre. On dit que le chasteau de Milan est pourveu pour 8 ans, mais la force abbregera bien cest terme.
Cependant le duc de Longheville pour capter la bienveillance des habitans a exempté des tailles ceux de Tortone pour cinq ans, ce qui est un signe evidant que la France attaquera le Milanois à bon escient pour en chasser l'Espagnol, ce qui ne se faira jamais sans mettre au dessoubs-dessus toute Italie, qui en est bien en alarmes de façon que mesme le pape se veut unir avec l'Espagnol et autres princes d'Italie pour y tenir les affaires en contre-balance. Et parce qu'il ne veut recognoistre l'esveque de Lamego pour ambassadeur,7 ny ratifier l'election du sieur Mazarini esleu à Genez pour general des dominicains,8 l'ambassadeur de France est sur le point de se retirer de Rome s'estant desja licentié du pape fort malcontant.9
Nos Suisses sont assemblés à Bade10 pour deliberer des moyens par lesquels on puisse obtenir la neutralité aux Comtois et asseurer le Rhin, sur lequel monsieur d'Erlach à leur advis veut user trop d'authorité. Ils ont certes occasion de songer à leur liberté, qui court risque de se perdre s'ils n'y prennent garde comme il faut. Cepandant monsieur d'Erlach11 ayant saccagé
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quelques villages auprès de Costance a assiegé peu après et pris à vive force la ville de Tutlinghen, où il y avoit 300 soldats en garnison, et battu le secours qu'on y vouloit mener de 300 chevaux, à ce qu'on escrit de Schafusen. Quelques-uns veulent qu'il assiegera mesme Rotvil pour asseurer tant mieux la contribution à ceux de Hohetvil et eslargir la sienne jusques au pays de Virtemberg.Souvenez-vous de ce que je vous ay escrit il y a huict jours touchant les Grisons,12 qui recevant un peu de secours fermeroyent leurs passages aux Espagnols.
Je demeure, monsieur,
tout le vostre,
C. Marin m.p.
De Zurig, ce 1/11 de Decembre l'an 1642.
Toutes vos lettres me sont bien rendues, dont la derniere est du 24 de Novembre.
Bovenaan de brief schreef Grotius: Rec. 17 Dec.
En in dorso: 11 Dec. 1642 Marin.