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Monsieur,
Nous avons perdu icy un grand roy,2 qui a fait pour les alliez, mais nous avons une reine-regente pleine de bonté, assistée de deux princes de fort bon esprit, du duc d'Orleans et de monsieur le prince.3 On nous asseure de continuer aux desseings du feu roy et de faire la guerre ou bien la paix avec nous.
On a chanté Te Deum pour la victoire à Rocroi, où on a pris presque deux cents drapeaux et cornettes. Le combat a esté sanglant, les Fransois y ont perdu presque trois mille, les ennemis plus que quatre mille. On dit que les Espagnols ont asommé le comte de Buquoi pour ce que sur l'ordre de don Melos il n'avoit voulu ceder à Albuquerque le commandement sur la cavallerie, dont estoit arrivé que la cavallerie se joingnant à son mescontentement s'estoit comportée au combat assez lachement.
Asteure les trouppes de Champagne, estants joinctes à celles de la Picardie, vont comme on croit dans l'Hainaut, mais don Melos est renforcé par les trouppes de Beck, qu'on fait monter jusqu'à dix mille. Le duc Charles est à Worms, ses troupes et celles de Baviere se joingnent près de Philipsburg pour s'opposer aux desseings du marescal de Guebrian, qui a près de luy de bateaux et bonne artillerie et bonnes trouppes. Outre cela il y a l'armée de Bourgogne, qu'on dit estre de dix-huict mille hommes, preste pour entrer dans le Franche-Comté.
On nous dit aussi que Motte d'Odincourt a repris Almeras en Catalagne et que don Silva se tient entre Tortosa et Fragues, et le roy d'Espagne à Saragossa. Que la citadelle d'Aste n'est pas prise encore par le prince Thomas, ny celle de Tortona delivrée du siege. Que l'armée du pape sera en peu de temps de vingt mille gens d'infanterie, de trois mille chevaux, et qu'on travaille fort pour faire preceder la paix d'Italie à l'universelle. La reine-regente a envoyé à Rome pour obtenir le cardinalat à l'evesque de Beauvais, lequel comme aussi le president Bailleul sont faicts ministres d'Estat. La reine donne les eveschez et benefices par l'advis du cardinal Mazarini, des evesques de Beauvais et de Lisieux, et du pere Vincent, un de la Mission. La duchesse d'Orleans est venue à Medon, où l'archevesque de Paris l'a joingt de nouveau avec le duc d'Orleans. En tant que besoing pourroit estre, le prince de Condé est assidu au conseil, fait rapporter les affaires d'estat, justice et finance, dit le premier son advis, signe les arrests. Madame d'Esguillon est à Paris au Petit-Lutzenburg, le marquis de Bressé à Brouage, La Milleray aux baings. On est bien empesché pour trouver de l'argent en telle quantité qu'il faut, et plusieurs proposent qu'il en faut prendre de ceux qui ont trop pris. Au vicomte de Turaine et à Gassion on fait esperer la dignité de marescal de France. Monsieur d'Andelot, fils du marescal de Chastillon, s'est fait de la religion romaine par amourettes d'une fille qui n'a pas trop bonne reputation.
On ne sçait pas encore qui iront à la paix, mais monsieur d'Avaux s'en tient asseuré; plusieurs croyent que monsieur de Chavigny, prevoyant de plus grands changements, ne refuseroit pas cette ambassade si on la luy offroit.
De Francfort nous apprenons que la proposition des princes pour faire la deputation par cercles de ceux qui auront l'oeil sur les traittez de la paix a esté rejettée par le duc de Baviere, et semble-t-il qu'on veut transporter l'assemblée de Francfort à Munster. Les Bavarois veulent aussi que l'affaire palatin se traitte à part à Vienne et ont empesché qu'on n'ait pris au coeur les plainctes de la ville d'Hamburg, recommandéez par les autres villes ansiatiques, contre le roy de Danemarq, les advis des deputez de l'electeur de Mayence ayants esté pour la ville d'Hamburg.
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Je suis tres marry que les Provinces-Unies ne sont pas du tout telles que leur nom le porte.4 Ils ont un ennemi assez puissant pour les obliger à mettre à part toutes sortes de jalousies et differents qui les pourroient rendre moins propres à leur conservation.
Hier je voy le roy et la reine-regente et y fus bien receu avecq de grandes asseurances de la reine de continuer aux desseings du feu roy son seigneur pour le bien des alliez et pour parvenir à une bonne paix. Dieu la nous donne.
Je suis, monsieur,
vostre tres humble serviteur.
30 May 1643, à Paris.
On commence à doubter de ce que j'ay escrit de Buquoi, comme aussi des desseings sur la Bourgogne, puisqu'on dit que de cette armée-là une partie va en Allemagne, une partie en Italie. Et de Motte-Odincourt on dit qu'il va à Valence. Nous apprenons que l'armée du duc d'Anguien, depuis que les trouppes de Champagne y sont arrivées, est de dix-huict mille hommes, à qui on va encore adjouster quelques compagnies des regiments de guardes. Don Melos, dit-on, a quinze mille hommes alentour de Valenciennes. Le duc d'Espernon et madame de Chevreuse ne sont pas en cour, mais à leurs maisons. Personne n'est à la Bastille que trois seulement.
Bovenaan de copie staat: M. Vicquefort.