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Monsieur,
Vous auray desja appris la triste nouvelle de la surprise de Tutlinghen,2 premier quartier de l'armée de feu monsieur de Guebrian,3 dans lequel s'estans trouvés les premiers chefs, tous ont esté faits prisonniers et le reste mis en desroute et le canon et bagage abbandonné. C'est un malheureux coup, qui vaut plus qu'une bataille et apprendra les nostres à se tenir mieux sur ses gardes que n'ont pas fait les Vinarois, qui ne sçauroiyent jamais s'excuser d'une si lourde faute que la leur. Le colonel Rosa et Tubadel4 rassemblent à ceste heur le desbris de l'armée, qu'il faut tacher de remettre pour empecher que l'ennemy ne puisse profiter beaucoup de ceste disgrace, moins envoyer du renfort à l'armée imperiale, qui en sera bien haussée et l'empereur par ce moyen endurcy à ne vouloir point de paix raisonable. Dieu veuille garder monsieur Torsonson5 de semblable malheur et fortifier le bras du Konigsmarc, qu'il puisse chasser bientost Cracau de la Pomeranie, où il se tient encor à Bellegrad.
Ceux qui font des levées profitent beaucoup de ceste desroute, et ayans le passage ouvert par Tyrol6 ils y font acheminer tous ceux qui veulent servir en Italie, et parce que le passage par la Turgovie n'est pas encor asseuré, on se veut servir de celuy de Zurig, dont le territoire s'estend jusques à Stein, et de là par le Rhin ils peuvent aller jusques à Costance et de Costance en Tyrol. Cependant le cardinal Bichi7 prepare les matieres de paix pour en traitter bientost dans quelque lieu du territoire de Mantoue, et divers manquemens qui se trouvent tant du costé du pape que parmy les ligués devroyent pousser les uns et les autres à un accommodement, auquel la France travaille à bon escient. Les Espagnols se reposent à Milan et je crois que les François feront autant à cause du froid excessif qui regne tant icy qu'en Italie.
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Je n'ay pas encor aucune responce touchant mon argent8 ni de Suede ny du baron Ochsenstirn, et pas un de nos ministres ne me veut prester le moindre argent, que j'eusse pour le moins attendu de vostre courtoisie, qui m'avez tousjours tesmoigné plus d'affection qu'aucun autre. Dieu me console et vous conserve en sa sainte garde, moy demeurant, monsieur,
tout le vostre,
C. Marin m.p.
De Zurig, ce 23 de Novembre l'an 1643.
Bovenaan de brief schreef Grotius: [Rec.] 17 Dec.
En in dorso: 23 Nov. 1643 Marin.