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Monsieur,
Le dernier ordinaire ne m'a point apporté de vos lettres, là où néa[n]tmoins ie les attend chasque samedy avec gran impatience chérissant extrèmement tout ce qui vient de vous et suppliant pourtant pour la continuation de vostre correspondance qui m'est la plus aggréables (!) de toutes que i'aye.
Il y a un advis qui vient de Vienne d'une invasion des Turcs en Hongrie, lequel ie ne sçay sur quoy il se puisse fonder, les tresves entre la Porte et l'empereur2 estant renouvellées, et de sa part arrivé à Constantinople un internonce, le baron Chinsky Boiemien3, qui a apporté responce à la lettre que le gran seigneur4 avoit auparavant envoyé à Vienne, en donnant part à l'empereur de sa victoire obtenue sur les Persans. Il n'a eu audience que du Cahimacham5 le plus gran ennemy de la maison d'Austriche, aussy l'a-il receu bien froidement sans demonstration d'aucune courtoisie, qu'on a faite aux autres ambassadeurs des princes y venus sur le mesme suject.
L'ambassadeur de Transylvanie6 pour remettre son maistre7 dans la bonne grâce du gran seigneur l'a asseuré fort amplement de sa fidélité, luy ayant fait ouverture de son intention qui est d'entrer en Hungrie et s'y faire couronner pour roy, moyennant trois conditions qu'il désire qu'on luy accorde. La première est qu'on commande aux passas de Buda, Temesvar et Bosne8 de le seconder en tout cas de besoing et qu'ils ayent soing des places frontières de l'Ungrie; secondement qu'après sa mort son fils9 succédast à la couronne; et tiercement qu'un certain gentilhomme nommé Moses Zeckel10, luy fust renvoyé soubs promesse de ne luy faire aucun desplaisir, ains qu'il luy rendroit tous ses biens. Mais le Cahimachan luy a reparty la dessus, que son maistre estant tenu pour ennemy de la Porte et que pourtant on ne pouvoit plus croire à ses promesses, toutesfois s'il vouloit par des despences et présens se remettre dans la faveur du gran seigneur qu'il feroit
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pour luy ce qui seroit possible. L'on tient qu'il n'en sera rien, encor que les ministres de France et d'Hollande y employent tout leur possible, pour conduire cest affaire à une bonne fin, aussy seroit-ce un gran coup d'estat d'affoiblir de ce costé-là par un prince chrestien l'empereur qui par la perte d'Ungrie perdroit en un mesme coup l'Austriche et Moravie. Toute raison nous fait croire que le gran Turc ayant fait sa paix avec le Persan11 ne se contentera pas seulement d'attaquer Sicile ou Malta, mais passera plus oultre si la mort ne s'en empêche.Vous sçaurez que Casal a esté secourru par le comte Harcourt12 qui avec la munition y a introduit mille à pied et 200 chevaux, ayant peu auparavant battu quelques compagnies de la cavallerie et infanterie Espagnoles.
Je continue mes poursuites du parachè[ve]ment de ce que me doit monsieur Heuf13 et vous supplie d'y contribuer aussy vostre faveur, car autrement si mes arrière-gages de 20 mois ne me sont payés il faudra que ie croupisse tousiours dans des deubtes avec ma perte fort grande, et peu de réputation.
L'on dit que les Vinariens ont pris Neustatt et qu'ils ont peu d'envie d'obéir le duc de Longheville14, estans fort altérés contre la France à cause de la détention du prince palatin15 qui est un affaire de gran conséquence pour tous les protestans qui sont intéressés dans le party.
Je vous baise les mains et demeure inviolablement, monsieur,
Tout le vostre
Marini.
De Zurig, ce 14 de 9bre 1639.
Boven aan de brief schreef Grotius: Rec. 7 Dec.
In dorso: 14 nov. 1639 Marini.