Monsieur,
J'ay apprins par la lettre qu'il vous a pleu m'escrire le 19 de Novembre2 la malheureuse constitution des affaires d'Allemagne, et particulièrement ce qui concerne vostre personne et ceux du conseil, dissipé asteure, comme toute cette grande confédération, de laquelle ne reste que le nom. Vostre sagesse et constance est si grande, qu'elle n'a pas besoign d'aucune consolation, pour laquelle la cognoissance qu'avez eu de longtemps des choses divines et humaines vous fournit assez de matière.
Avec cela le mal est commun, et il n'y a qui n'ait sa part. Principalement monsieur le grand chancelier3 a bien senti des grands bourasques depuis que du Rin il est venu à l'Elbe, n'estant pas seulement abandonné des électeurs de Saxen4 et de Brandenburg5, des princes de Lunenburg6 et Mecklenburg7, mais
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estant attaqué par vive force de ceux pour lesquels délivrer de l'oppression le feu roy de Suède8 et luy ont prins tant de peine, et l'un a perdu, l'autre hazardé tant de fois sa vie. Mais c'est d'ordinaire des ligues d'estre subjectes à telle dissolution à la moindre apparence, souventefois trompeuse, de quelque commodité particulière.Nous voulons espérer que la ville de Strasburg ne se départira point de la bonne foy, voyant deux couronnes et l'estat d'Hollande en armes, qui seuls suffisent pour empescher longtemps la domination de la maison d'Austriche.
Le duc de Rohan9 comme vous aurez apprins a eu depuis peu deux belles victoires sur les impérialistes près de Bormio et sur les Espagnols près de Morbegno, là où les ennemis ont perdu quelques milliers: et quant au passage des trouppes nouvelles par le Mont Gothard, on espère que la neige empeschera ce que les Suisses catholiques ont accordé.
Outre cela le roy10 fait icy de nouveaux édits pour trouver de l'argent et des gens pour assister ses amis, comme il a fourni au duc Bernhard11 quatre cents mille livres et promis quatre millions par an, afin qu'il entretienne douze mille gens d'infanterie et six mille chevaux. Mons.r le cardinal de la Valette12 est icy pour prendre des ordres pour le printemps.
Pour venir aux provinces Unies, le prince d'Orange13 n'a pas seulement prins le chasteau de Biland et autres postes advantageuses pour empescher la communication des trouppes ennemies avec le fort qu'ils ont delà le Wael, mais s'est aussi rendu maistre de tout le dehors du fort de Schencq14 qui sont dans la Betuwe, excepté une demie lune qui couvre la poste, qui, selon le iugement commun, ne peut pas tenir longtemps.
Le nom des Suédois se relève aussi par deux victoires signalées obtenues le 21 et le 22 d'octobre, le marescal Banier15 ayant avec quatre ou cinq cents chevaux mis en déroute seize ou dix sept cents chevaux des Saxons au passage de Ludershausen; et le général major Ridwijn16 ayant tellement attaqué Baudissen17, qui avec sept mille hommes pressoit Demitz, les assiégez du chasteau au mesme temps ayant fait une brave sortie, que de sept mille ennemis, deux mille en sont prins, et entre ceux-là plusieurs chefs, de reste tout taillé en pièces, excepté quelque officiers qui avoyent des chevaux par la vitesse desquels ils se sont sauvez.
Monsieur le grand chancelier ayant mis fort bon ordre pour la défense premièrement de Magdenburg et depuis de toute la Poméranie, s'en va en Suède pour conférer avec Mess.rs les autres régents de la couronne18, sur ce qu'il faudra faire au printemps. Cependant on espère que l'hyver ne passera point que le mareschal
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Banier ne face quelque action digne du renfort qu'il a receu de l'armée qui a esté cydevant en Prusse.Outre tout cecy la négotiation de l'ambassadeur d'Angleterre icy19, la grande apparence du roy de Poulogne20, estant en tresve de vingt et six ans avec la Suède21 et en mauvaise intelligence avec l'empereur22, de prendre en mariage la soeur23 de mons.r l'électeur palatin24 qui en personne est asteure en Angleterre, le voyage de mons. de Charnassé25 pour animer le roy de Danemarck26 à se maintenir dans l'évesché de Bremen, les advis que recevons de la paix du Turq27 avec la Perse, nous font croire, que la maison d'Austriche n'aura pas si beau jeu comme elle a pensé. Cependant les intentions du roy et de la roine28 et régens de Suède n'est pas esloignée d'un accord honneste et équitable, et quand l'occasion à cela se présentera, le roy, comme ses ministres, ausquels i'ay parlé depuis la réception de la vostre sur ce suject, m'ont asseuré, veut avoir un soing bien particulier de vous, monsieur, et de ceux du conseil, afin de les faire iouir du bien commun du repos et seureté. J'ay escrit à mesme fin à mons. le grand chancelier et ne doute nullement que du costé de Suède on n'ait le mesme soing pour vous et pour les autres messieurs.
Je n'ay pas laissé de faire souvenir à messieurs les secrétaires d'estat et à monsieur le surintendant des finances29, l'estat auquel vous, monsieur, vous trouvez réduit, ne pouvant iouir d'aucun de vos biens, afin que le roy usast de sa liberalité accoustumée envers des seigneurs affligez, pour vous aider à vous maintenir selon vos qualitez; en quoy i'eusse bien désiré de trouver la facilité plus grande. Toutefois i'espère que s'il plaist à monsieur de Feuquières30 d'y contribuer un peu de ses recommandations, que nostre peine ne sera pas de tout inutile.
Quant à moy ie le tiendray tousiours à bonheur que de vous pouvoir servir, et prieray le bon Dieu, monsieur, de vous protéger en ces mauvais temps d'un soing paternel.
Vostre serviteur très humble.
A Paris, le 9/19 decemb. 1635.