Monsieur.
Je suis contraint de satisfaire par cette seule aux deux vostres du 4. et 13. du présent, c'est à dire de payer une double debte en monoye courte et legère. Je loue Dieu qu'il vous ait rendu Monsieur de Boissize sain et sauf, et le prie très-ardemment pour sa conservation, mesmes que pour le bien du Royaume il
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fust appellé à la charge que vous me distes vacante2, laquelle infailliblement ne sçauroit estre mieux remplie. Pour les misères publiques, je les voi prendre un long cours, à mon tres grand regret; et n'apprens pas encor que l'obstination, qui les a fait naistre, soit assez mortifiée. Nous avons eu icy des députéz de la Rochelle3, que l'on m'a dit n'avoir rien reporté à leurs commettans dont ils se puissent endurcir, ny glorifier. Cet homme de bien4, qui veut persuader en France estre converty à mieux faire qu'auparavant, ne l'a pas monstré en cette occasion. Mais vous sçavez sa coustume d'avoir aliud promptum in ore, aliud clausum in pectore. Enfin je croy que le singe sera tousiours singe, et ne le dissimule pas où je doy, souhaittant que l'on se garde d'estre encores trompé, après l'avoir esté tant de fois. Au surplus vous sçaurez que Monsieur le Prince d'Orange partit hyer, pour s'aller mettre en campagne vers la frontiere de Gueldres, où le Marquis Spinola tourne visage avec de grandes forces; celles d'icy seront de vingt mille hommes. On croit qu'il en veut à Juilliers, mais on n'y voit pas encor assez clair. Monsieur le Prince Henry partit deux jours avant luy, pour aller préparer les choses. Quant à celuy que vous avez laissé en peine5, l'office que j'ay fait pour luy a esté par occasion, parlant à quelqu'un qui croit pouvoir, mais je n'ay point encor apperceu quelle operation cela aura fait; je ne luy défaudray pas à toutes autres occurrences. Mais il faudra qu'il se face de grandes mutations en beaucoup de coeurs, pour voir de l'amendement à cela, comme vous pouvez sçavoir d'ailleurs. J'espère que maintenant Mr. Tilenus vous aura dit à quoy j'ay pourveu pour un de ses plus intimes amys et le mien, me promettant que le tout surgira à bon port à son contentement, et que bientost vostre exil sera consolé par la présence de celle de qui Dieu s'est servy pour luy donner commencement et fin à vostre dure captivité. Je luy ay offert et aux vostres tout service, à quoy je ne defaudray en aucun temps. J'ay fait vostre poeme à Mr. de Thou6 beaucoup plus long que vous, à force de le lire. C'est un tableau qui surpasse tous ceux de Michel Ange et de Rubens, où ce jeune Seigneur verra quel a esté son predécesseur et quel il doit estre. M. de Boissize me témoigne son affection envers vous, et moy à luy que je charge cette obligation sur moy, qui seray toute ma vieVostre bien humble et très affectionné Serviteur
du Maurier.
De la Haye ce 24. d'Aoust 1621.