Monsieur,
Je ne vous ay point escrit depuis mon arrivée à Chiavenne chez monsegneur le duc2, ne sçachant si ie m'y fermerois ou m'en retournerois à Zurig. Car en mesme temps survint la prise de Bormio par les impériaux3, lesquels s'y estoyent advancez avec un gros de 6 à 8m hommes, ayans forcé le colonel Bruker4 qui gardoit le passage avec 200 hommes seulement, de quitter son poste et s'en retirer en Engadine, faute du secours du Landy5 qui n'estoit pas arrivé à bon heure. Je vous asseure que nous en estions bien en peine et la crainte de tous s'augmentoit tant plus par la retraitte du duc de la Voltoline à Chiavenne avec toute son armée que les maladies, la fuyte des piétons avoyent grandement diminuée: de façon qu'il n'estoit pas bastant à résister tant aux impériaux qu'Espagnols, qui se tenoyent alors à l'embouscheure d'Adda, et tenir quand et quand tant de postes avec peu de gens. Que si l'ennemy eust eu un peu plus de courage à poursuivre sa pointe aprez l'occupation de Bormio, ie vous proteste qu'il[s] nous auroyent réduict à l'extrémité. Car l'armée françoise n'estoit que de 5m hommes au plus, le reste malade et en confusion, les Grisons en faction et le secours des Suissez bien esloigné, surtout peu de munition de guerre et de bouche. Mais le bonheur a esté que l'Espagnol n'a point bougé de son advantage, et Golz6 ne s'advança plus oultre qu'à Levin et aux environs, donnant du temps au duc de pourvoir la Rive, Chiavenne, Gordonne et beaucoup d'autres postes, et cependant vint aussy la résolution du senat de Venise d'assister les François de l'artillerie et des vivres dont on avoit gran manquement: dont estant asseuré et sçachant que Créquy7 d'autre part feroy une diversion au Milanois, il fit donner du réfraichissement à sa soldatesque bien harassée et après un repos de 6 jours la fit passer toute en Engadine, où s'estant renforcé avec quelque[s] trouppez du pays et ioint aux siens les régiments du jeune Goulez8, Florin9 et Janati10 nouvellement levés, il s'en alla tout droit attaquer l'ennemy qui se fortifioit dans le val de Levin, où il l'a combattu heureu-
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sement et l'ayant mis en desroute le fit retirer à Bormio en gran confusion, ayant laissé dans le champ de bataille toute sa munition et bagage. Le lendemain qui fut ce 19 il rentra victorieux dans la Voltoline et s'y saisit de Tyran que l'ennemy vouloit occuper s'estant desià advancé jusques à Mazz où le marquis de Montosy11 luy a battu plus de 200 hommes et le reste contraint à fuyr.Peu après on rencontra deux cornettes de cavallerie que le duc fit tailler en pièce[s], prenant leur cornettes et estant résolu d'aller choquer les premiers qui bransleront, nous entendrons bientost d'un' autre plus grande bataille.
Tel succez de monsieur le duc a grandement eslevé le courage des Grisons et assopi toutes factions en apparence pour le moins, et estant desià par chemin ces 3m Suissez et toutes les places bien pourveues, ie suis d'opinion que nos affaires icy prendront meilleur plis à l'advenir que par cy-devant.
C'est ce peu de chose que ie vous puis communiquer pour le présent, et s'il y aura de plus quelque chose digne de vostre cognoissance, ne manqueray point de vous en donner part me promettant le semblable de vous, la communication duquel ie tiendray à honneur et y correspondray selon mon possible, comme celuy qui vous honore très passionnement et demeure, monsieur,
Vostre très humble serviteur
Marini.
Chiavenne, ce 30 de Juin 1635.
P.S. Je vous envoye icy le succez d'un' autre victoire laquelle le duc poursuit et s'advance dans la Voltoline, qui quasiment toute est à sa dévastion et comme nous entendons est desià à Morbegno. Cerbeliony12 qui a 4m de pied et 300 chevaux avec 4 pièces de canon n'a point osé de l'y attendre mas s'en est retiré vers Fuentes y attendant d'autres plus grandes forces que l'empereur13 tâche d'envoyer au siens qui se tiennent aux biens de Bormio, passage fort estroit: mais quelque régiments estant desià commandez à se sauver de S. Marie par où passeront les impériaux ils seront contraints de se rendre, ayant desià abandonné Bormio d'où on les pressera plus vivement. Il vint d'autres Espagnols de Naples au nombre de 8m hommes pour la conservation du Milanois.
Je vous supplie encor une fois pour les lettres de faveur14, car sans cela le duc ne peut rien faire ayant pour le vous dire encore france les mains liées. Vous les pourrez envoyer au baron Sprecher15 ou à Euray16 à Pestalozzi. Je ne manqueray de m'en revancher selon mon possible.
Actum ce 16/6 de Juillet 1635.
Les Tartares ont assailly la Poulogne et les Cosaques les forces du Turc17 dont nous verrons bientost la paix re ... e. Il a falu que i'adressasse l'enclose à Vre E.ec
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à cause du danger par l'Alsace; ce qu'est à celui, ie n'en importuneray plus, mais envoyeray tout au sieur Mukel18 à Strasburg.Adres: A Monsieur Monsieur Grotius etc. nostre très honoré amy.
Boven aan de brief in margine: duplicate.
Onder aan: M.r Grotius.
In dorso schreef Grotius: 30 Iuny 1635 Marini.