Monsieur,
Vos occupations et ma solitude, qui ne me fournit point de matiere de vous entretenir, me tiennent en long silence, mais mon affection vous accompagne tousjours et ne sommeille point en vostre endroict. Je suis bien marry d'estre spectateur, bien que de loin, des mauvais succez du public, principalement du costé de vostre patrie, mesmes que l'envie d'attaquer et l'apparence que cela reussiroit se voyent converties en la necessité de s'y deffendre et qu'il ait peu luy estre donné un si dangereux coup jusques dedans ses entrailles.2
Cela me faict souvenir de ce que m'a autresfois appris un grand homme d'estat, qu'il est tout au rebours des navires qui s'approchent de nous dans la mer et des esperances que nous concevons sur la terre, ceux-là paroissans plus grandz à mesure qu'ilz viennent à nous et celles-cy, qui se monstrent grandes de loin, deviennent à rien de bien prèz. J'ay grand regret de veoir cette experience maintenant en choses de telle importance au public et si je ne craignois que l'on dist de moy que consilia post res afferuntur,3 il m'eschaperoit que le repos eust mieux valu au malade que l'agitation. Vous sçavez que les cantons de Suisse se sont renduz souverains par plusieurs prolongations de trefves de vingt-cinq ans, qui finalement se sont d'elles-mesmes converties en paix et possession paisible.4 Mais comme la providence de Dieu avoit ordonné cela, la mesme a voulu que cecy passast de la sorte. Cependant, j'apprehende beaucoup que cet infortuné succez ne donne une fascheuse et prejudiciable entorse aux affaires d'Allemagne et de vostre departement. Ce que Dieu ne veille; qui sera puissant de faire naistre d'autres obstacles et traverses à
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ceux qui se glorifient d'une si inopinée felicité. En suitte de cela l'air est plain de bruictz qu'il se couve une paix, laquelle devra bientost eclorre et que chacun des contractans l'entendra tellement à sa mode, ou qu'elle sera de difficile conclusion, ou qu'elle ne sera pas de longue durée. Pour moy, je ne suis plus en aage d'apprehender d'en veoir de longues suittes, mais je m'en iray du monde avec plus de contentement si je puis esperer qu'elles soient meilleures que n'en sont les apparences presentes.Or, monsieur, laissant tout cela à la conduite de Dieu, je vous diray, comme à celuy qui m'a tousjours cordialement temoigné participer à mes interestz, que hors les craintes pour le public il ne defaudroit rien à mon par[ticuli]er repos si je voyois mon second filz5 en train de vouloir bien user de sa condition et s'appliquer à ce qu'il devroit, de quoy il s'eslogne pour courir aprez des fumées qui ne luy produiront que du blasme et à moy beaucoup de deplaisir. Il est inconsideré jusques là qu'il veut estre homme de court et cependant outre ce que l'entrée nous en est presentement interdite, quand je pourrois la luy donner je ne le devrois pas, car il n'auroit employ qu'aux finances, à quoy il seroit tres impropre en estant dissipateur, ou bien auprez de ceux qui manient les secretz et cela luy conviendroit encores moins, car qui luy diroit quelque chose digne d'estre celé, nihilo plus agat quam si imbrem in cribrum ingerat.6
Monsieur, je n'ay peu m'abstenir de vous decouvrir ses playes, sur lesquelles il n'y a personne au monde qui peust appliquer de meilleurs remedes que vous, s'il estoit si heureux que vous prissiez la pene de le detromper de ses illusions. Vos rares merites, vostre excellent sçavoir et vostre grande reputation pourroient luy donner quelque goust de la vraye sagesse et prudence, dont jusques icy il ne paroist aucune estincelle en luy; sa presomption et les louanges d'autruy l'ont enivré de si vayne opinion de luy-mesme qu'il pense estre deja fort habille homme, dont il est aussy elogné qu'il en pense estre prèz. J'espere que vous pardonnerez cette si longue plainte à ma juste douleur et que vous m'y assisterez de vostre secours, l'induisant, s'il vous plaist, comme de vous-mesmes, à se donner au barreau, pour s'y faire cognoistre en bienfaisant et par ce moyen avec le temps s'y trouver pourveu d'un office non acheté, mais acquis par un honneste labeur.7
Aprez cette tres affectionnée priere il ne me reste qu'à saluer bien humblement vos bonnes graces de madame l'ambassadrice et de mad[amoise]lle Cornelia,8 vous suppliant de croire que je souhaite à tout ce qui vous appartient toute prosperité et que je suis, monsieur,
vostre bien humble et tres affectionné serviteur,
Du Maurier.
Au Maurier, ce 15e Sep[tem]bre 1635.
Adres: A monsieur/monsieur Grotius, con[seill]er et ambassadeur ord[inai]re de la couronne de Suede prèz de sa Ma[jes]té tres chrestienne.