Monsieur,
J'appren mal volontiers par vos lettres du 25 passé2 la continuation du malentendu avec Sedan, et crain[s] que le mesme n'arrive avec la Suède pour des raison[s] que vous sçavez mieux
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que moy, à quoy le transport de Mon.r le mareschal Horn3 en Bavière, la détention de l'argent à nous deu ne servira pas peu. J'en pâtis plus que tous les autres, estant icy despourveu de tous moyens et tantum non ad stipem redactus avec ma famille, et si je sçavois au moins de recevoir cest esté mon change, j'attendrois icy avec patience. Mais personne ne m'en donne aucune certitude, et sur des espérances vaines m'engager en des plus grandes despences, ce seroit ma ruine. Si vous me pouvez assister de vostre conseil en ce que je devrois faire, vous m'en obligeray grandement, car je suis âpres de me retirer d'icy ou à Benfeld ou à Hamburg, si dans 4 ou cinq sepmaines mon change ne sera parachevé, estant impossible acroire la difficulté que je rencontre à emprunter de l'argent, et en suis en telle peine que souventefois j'appelle la mort, pour ne voir plus la misère dans laquelle je me trouve avec les miens. Hélas, Mon., com[m]e est ce que je mérite tel traittement, et qu'on ne me veut pas donner mon honneste congé pour cercher ma Fortune ailleurs! Patience. Il me semble que manquer de son gage trois ans entiers et demy et s'entretenir néantmoins honnestement avec neuf personnes, c'est faire des miracles pour un gentilhomme de fortune.Nos Suisses sont encor à Bade4 et nous verront ce qu'ils obtiendront de l'ambassadeur de France5 pour la neutralité de la Franche Comtée. Le mouvement de Berne est asso[u]pi, mais on doubte si les Bernois voudront maintenir ce à quoy l'interposition des cantons protestans les a obligés, leur estant fort à contrecoeur de n'oster point des charges que les chefs mutins tiennent, sans les oser chastier en quelque façon que ce soit.
Les Grisons pour maintenir la capitulation de Milan6 et recevoir des pensions chassent dereschef les pauvres protestans de la Voltoline, et eux au contraire se roidissent d'y demeurer tant qu'on ne voudra acheter leur biens, encor qu'ils y deussent perdre la vie. Il se tiendra bientost un synode des ministres Grisons,7 qui ne servira qu'à empirer le mal de dedans, cum ira sine viribus sit vana.8 Les 8 Droitures ont publié un petit manifeste,9 par lequel ils monstrent leur liberté estre exemte de la sujection que l'archiduchesse d'Inspruck10 prétend sur eux, mais le mal est que ce différend ne se peut décider par des discours, mais par force, à laquelle il faut que les Grisons cèdent mal gré bon gré qu'ils en ayent.
Les François ont failli de surprendre Alexandrie, aussy bien que d'autres places sur lesquelles ils avoyent projetté leur desseing; tant la fortune leur est contraire en ceste année, et les Espagnols se vantent qu'ils réduiront bientost les affaires avec la France non seulement à un équilibre, mais qu'ils leur prévaudront mesme.
Par l'ordinaire prochain11 je vous manderay quelque particularitez de Constantinople et de Rome, demeurant cependant, monsieur,
tout le vostre
C.M. mp.
De Zurig, ce 1/11 de Juillet l'an 1641.
Bovenaan de brief schreef Grotius: Rec. 29 Iulii.
En in dorso: 11 Julii 1641 Marin.