Monsieur,
J'ay esté si malheureux, depuis que je suis arrivé à l'armée,2 que de n'avoir jamais rencontré aulcune commodité pour vous rendre mes devoirs. La cause en est que nous sommes si esloignez du quartier general, qui est à Nuys, que nous n'y allons que fort rarement, veu aussy le grand danger qu'il y a entre cy et là. Il est vray que nagueres j'y ay esté huit jours tout de suite à guarder monsieur de Lamboy,3 mais c'est une guarde si dangereuse qu'on n'oseroit l'avoir quitté d'un pas, ce qui m'a empeché de vous escrire alors.
Nous nous preparons pour sortir de nos guarnisons Mardy prochain, à desseing d'aller prendre deux ou trois villes au-dessus et autour de Coulogne, pour estre plus prèz de ladite ville, en cas que les ennemis y veullent passer le Rhin, à quoy nous nous opposerons tant qu'il nous sera possible. On croit que Bonne ne sera pas exemté. Il y en a aussy qui parlent de Aix. Hatzfeld4 attend que les troupes de Bavieres l'ayent joint pour nous venir attacquer, mais on dit qu'elles ont esté contremandées pour aller rejoindre Picolomini, qui ne se trouvoit pas bastant5 contre Tosterson. Quoy que c'en soit, il est certain qu'elles ont esté en chemin pour venir au secours de l'electeur de Coulogne.
Nostre armée ne fut jamais leste comme elle est aujourd'huy. Nous avons six mille chevaux et six belles briguades d'infanterie, sans conter les Hessiens. Il y a apparance qu'on se battra
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avant qu'il soit quinze jours et aux portes de Coulogne mesme, puisque les ennemis n'ont point d'autre lieu pour faire leur pont. On travaille fort aux fortifications de Nuys et de cette ville. Il y [a] apparance qu'on quittera ce pay[s] icy aux Hessiens.Nostre colonel6 arriva icy avant-hyer, lequel pour avoir esté absent de son regiment l'espace de trois ans, nous a apporté fort peu de satisfaction, et à moy particulierement. Il a emmené deux capitaines de France, lesquels il voudroit fasser [sic] passer devant moy, qui est une chose inouïe et aussy injuste qui s'en est jamais faite. Je m'en suis rapporté à son Excellence de Guebriant, qui m'a assez tesmoigné le droit de ma cause, me faisant pourtant entendre comme il n'appartenoit pas à luy de nous juger, puisque le colonel y est en personne. Depuis je m'en suis rapporté aux majors generaux de l'armée qui ont tous egalement condemné mes parties. Encore ne s'en veut-il pas tenir là, ains dit qu'il est absolu dans son regiment, et que je ne m'en doibs rapporter qu'à luy, qui ne cherche qu'à favoriser les deux autres capitaines, auxquels il avoit promis cela avant que de sortir de France. Là-dessus j'ay prié monsieur de Guebriant de le faire juger par le conseil de guerre. Il m'a remis jusques à après-demain pour veoir, si mon colonel voudroit permettre que ledit conseil de guerre s'en mesle. Si d'avanture il ne le veut pas permettre, l'honneur m'obligera à luy demander mon congé, afin qu'ayant enduré qu'on me face une telle injustice, je ne donne sujet à mon colonel de m'en faire d'autres doresenavant. C'est une chose bien sensible et prejudicieuse, que le rang que l'on doit tenir. Je feray premierement tout ce que je pourray pour faire venir mon affaire dans le conseil de guerre, car je sçay fort bien qu'il me fera gaigner ma cause, et quand mesme ledit conseil me la feroit perdre, je ne serays pas obligé de demander mon congé, comme je seray en cas que le vicomte de Melun me face ce tort. Ce qui me console icy est que je suis bien auprès de monsieur de Guebriant, sans le conseil de qui je ne feray rien et ne partiray pas d'icy sans qu'il me donnera des lettres à monsieur le cardinal et à son Altesse de Longueville,7 qui rendront tesmoignages de quelle façon j'ay servy icy, [et] ce qui m'aura obligé à quitter monsieur de Melun. Je sçay bien qu'ayant cela, je ne seray jamais huict jours en France sans y avoir de l'employ aussy bon, voire meilleur que je n'ay icy, car je m'asseure qu'on [ne] me refusera jamais une compagnie dans un vieux regiment entretenu, ce que cettuy-ci n'est pas.
Il ne fault pas, monsieur, que cecy vous mette en peine, car je vous asseure, que je ne feray rien qui me puisse porter prejudice. En cas que monsieur de Melun m'oblige à le quitter, j'ay Dieu mercy de l'argent pour me conduire en France, et l'equipage que je vendray icy, me servira à en acheter d'aultre, mais que je soy là. Pour ce qui est du legat de feu son Altesse de Vimar,8 il n'y a que moy qui n'ay pas encor receu le mien. Monsieur de Trassy9 m'a protesté que, lorsqu'il a demandé le fond à monsieur de Noyers10 pour les payer, qu'il croit que vostre consideration devoit avoir esté cause que j'eusse esté payé il y a deux ans. Là-dessus je luy ay remonstré comme quoy monsieur de Noyers m'avoit renvoyé à luy, le priant de me donner une lettre audit seigneur de Noyers pour tesmoigner seulement, comme quoy je n'ay pas esté payé icy et que je ne doutois que je ne soy payé par luy. Je luy dis cela à cause que je seroy
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plus ayse d'estre payé en France que non pas icy, parce qu'à ceux qui ont esté payé icy on leur a rabatu à chacun mille rysdales, soubs pretexte qu'il n'y avoit pas assez de fonds pour payer le reste, ce que je sçay qu'on [ne] me pourra pas faire en France. Il m'a promis de me donner la lettre, lorsque je m'en retourneray au quartier general pour faire juger mon different.Je suis, monsieur,
vostre tres humble et tres obeissant fils,
D. de Groot.
A Kempen, ce 5/15 d'Avril 1642.
Adres: A monsieur/monsieur l'ambassadeur de Suede, à Paris.
Bovenaan de brief schreef Grotius: Rec. 14 Mey.
En in dorso: 15 April 1642 D. de Groot.