Monsieur,
Il y a longtemps que je vous suis obligé à cause de l'affection tres cordiale que vous avez fait paroistre envers moy et les miens. Je suis malheureux de ne le pouvoir recognoistre par effects comme je le faits de coeur. On peut interpreter si mal comme on voudra mon travail pour la reunion des chrestiens. Je vous asseure qu'il n'y a point eu en cela aucune goutte d'interest, mais seulement l'intention de servir à Dieu et à mes prochains en monstrant aux autres et à moy-mesme les voyes, par lesquelles on pourroit advancer et remettre la verité, pitié et la concorde, et par ce moyen me preparer à une bonne issue de ceste vie miserable, quand il plaira à Dieu de m'y appeller, approuvant grandement ce que monsieur de Thou prest à mourir a faict mettre à une chapelle qu'il vouloit estre bastie à Tarcassone:2 ‘Christo liberatori votum in carcere pro libertate conceptum Franciscus Augustus Thuanus ex corpore hoc liberandus merito solvit.’
Quant à l'ambassade je me suis chargé que soubz l'esperance de pouvoir servir à la paix de princes chrestiens et en la mesme intention je continueray à faire ceste fonction, tandis que ceux-là le voudront qui en ont à disposer. Si on m'en descharge, je ne seray pas marry ayant assez d'age pour pouvoir vivre en repos servant à Dieu et à la posterité.
J'ay veu le petit livre latin duquel vous faites mention remply d'un grand nombre des mensonges fort impudens.3 Monsieur Hambraeus, pasteur suedois, sçait que je ne refuse jamais ma maison quand il y veut prescher ou administrer les sacrements et que tous ceux qui veulent ont liberté d'y venir. Le baron de Degenfeldt sçait l'affection que j'ay tousjours eu pour son service et madame de Ransauw sçait s'il est vray ce qu'on dit là d'elle.
Monsieur le cardinal est à Ruelle4 et se faict porter quelquefois dans son jardin. Le roy l'a veu là et depuis la reyne, à qui son Eminance a donné une collation tres magnifique. On attend icy tous les generaux pour recevoir des ordres excepté le comte de Guebrian, à qui le roy a donné cens mille livres, et le marescal de Motte-Odincourt, fait par le roy duc d'Oxona en Espagne. Jusqu'à cette heure monsieur du Hallier est près de La Motte, les comtes d'Harcourt et de Guiche au Cambresis. Quant aux ennemis, le duc Charles prend ses quartiers de[là] la Mouselle, Beck au Lutsemburg, don Melos se tenant encore près de Valentienne.
Le duc de Longueville est aussy attendu icy. On dit qu'il a pris Verrue. Les armées navales tant d'Espagne que de France sont aux ports et on croit icy que les Portugais ont faict une invasion dans la Galice et pris une villette aux endroits de Salamance et que cette diversion servira grandement aux desseings du marescal de La Motte-Odincourt.
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Le pape voyant le duc de Parme, qui avecq deux armées attacque l'Estat ecclesiastique, supporté par la France, pour contenter le roy d'Espagne a declaré l'evesque de Lamego aggresseur dans la querelle arrivée entre l'ambassadeur d'Espagne et [l'a] declaré irregulier, lequel à cause de cela mal satisfaict s'est retiré de Rome. Et le roy d'Espagne pour recognoistre ce bienfaict offre au pape deux mille chevaux, douze mille hommes à pied, desquelz on ne croit pas pourtant que le pape se serve, mais bien de ce bruict pour faire accommoder le differant avecq le duc de Parme le plus qu'il pourra au contentement des siens.
Icy les prisonniers de la Bastille sont reserez plus qu'auparavant. Bricquemaut avant que de sortir a eu du roy X mille livres et promesse de deux mille livres de pension. Le cardinal de Ricelieu veut faire valoir son decret que les cardinaux doibvent preceder les princes du sang. Des affaires d'Angleterre et d'Irlande on parle icy fort diversement et je croy qu'en vos quartiers vous pourrez estre mieux instruict.
Nous apprenons la mort de Beck, la confirmation de Verrue. On publie [que] l'armée de Motte-Odincourt a seize mille gens de pied, VI chevaux et on dit que le roy d'Angleterre prospere et que sa Majesté a XII mille à pied, III à cheval.
Bovenaan de copie staat: Mons. Vicquefort.