Monsieur,
I'avois espéré que le samedy prochain auquel iour vient l'ordinaire de France m'apporteroit le contentement depuis si long temps attendu, mais à ce que ie voy par la vostre du 3 courrant2 i'en suis encor bien esloigné, puisque les descomtes estant conclues, l'argent ne comparoit pas encor et monsieur Heuf3 sans doute cerchera d'autres excuses. Ie ne sçay certes quoy faire me trouvant parmy tant de perplexités que ce retardement me cause, et me fait perdre tout le crédit icy. A un homme de moyen ce seroit dure de manquer de son gage par trois ans quasiment, tant plus à moy qui à cause de ma charge ay ruiné ma femme4, prie seulement Dieu qu'il me donne la patience de pouvoir surmonter toutes ces difficultés sans ruiner ma santé.
Les advis ordinaires portent que le gran chancelier5 est attendu à Stetin, ce que Dieu veille, car à son retour en Allemagne i'espère d'estre un peu mieux traitté que par le passé, si au moins on voudra recognoistre mes services et la fidélité que ie conserve à la Suède, maintenant son honneur et réputation à mes despens.
Les affaires d'Italie ne vont pas encor bien, conforme vos advis portent, car
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l'ambassadeur de Savoye6 m'escrit tout le contraire, et craint que les François n'y remédient trop tard. Après la perte de tant de places Asty et Moncalve sont pris par les Espagnols, qui ayans fait tant de progrez en ces quartiers sans férir (?) coup s'il faut ainsi dire, ores veulent retirer l'armée à se reposer un peu et laisser les François qu'ils se lassent et consument dans les chaleurs d'Italie.Les députés Grisons7 sont arrivez à Gènez de retour d'Espagne et traitteront de nouveau en Alexandrie avec Leghanes8 qui les y a appellés et en peu de temps nous sçaurons l'effect de leur négotiations. Il est temps que la France face bientost esclater sa faction aux Grisons, autrement elle sera doutée.
Quelques-uns croyent que le duc Bernard9 fait estat d'attaquer les villes du Lac de Costance, ce qui est bien une entreprise de conséquence, mais elle sera dure et consumera beaucoup d'argent et de gens. Tempus reliqua aperiet. Nous attendons ce que ferons les petis cantons avec les impériaux qui font de gran provisions ès villes du Lac et toutes sont bien garnies de gens.
Au reste ie vous remercie très affectueusement de vos bons offices envers monsieur Heuf et en attendray l'effect avec le prochain ordinaire, qui peut-estre me contentera mieux. Dieu vous conserve en toute sorte de prospérité et moy en vostre bonne grâce qui suis passionnément, monsieur,
vostre serviteur redevable
Marini.
Nous avons icy des advis de la prise de Marazin10 et du comte de Schlik11.
De Zurig, ce 9/19 de May 1639.
In dorso schreef Grotius: 19 May 1639 Marini.