Monsieur,
Je suis fort marry d'apprendre par la vostre du 10 courrant2 que nous sommes si vilainement esconduits par le sieur Heuf3 touchant le payement de mon reste, et qu'il ne suffit pas d'avoir attendu neuf mois les descomtes, il en faut encor attendre l'approbation de Suède, sans qu'il m'accomode cependant de quelque partie pour avoir de quoy vivre et me nourir avec ma famille qui m'emporte plus de cent florins chasque mois praeter amictum, locationem aedium, correspondentias et stipendia servorum. Certes il ne seroit pas estrange si ie devenois tout gris de tant de chagrins et malheurs qui me pressent de tous costés, et voudrois n'avoir jamais monstré vos lettres à mes créanciers, car sur vostre espérance que ie serois prontement payé les descomtes estant conclues, ie les en ay entretenus en bonne patience, mais à cest'heur ils sont au bout de leur foy et ne me croyent plus rien, et si monsieur Heuf ne m'assiste au moins d'une partie, nescio, Deum testor, quid accipiam, moy estant mal dispos, et ayant de plus la femme4 malade et mon escrivain5 estropie dans la maison. On me conseille d'aller aux bains au voisinage ce que ie voudrois le mois prochain, mais si vous ne m'obtenez de monsieur Heuf quelque somme d'argent, il faudra que ie languisse icy ave les miens misérablement pour un long temps. C'est bien un rude traittement, monsieur, qu'on me fait, sans avoir resgard à ce que pour trois ans mon gage me manque et qu'à cause de ma charge ie fais ruiner les intérêts de ma femme sans qu'elle y puisse remédier. Haec in sinum amici.
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Quant aux nouvelles ie vous en envoye ce que i'ay d'Italie et pour l'affaire de Venise vous diray que le passa de Bosne6 a fait défendre le commerce des Turcs avec les Vénetiens en Dalmace, le mesme ayant esté publié dans la Morée où il s'est ensuivy desià des hostilitez. Le bailo de Venise est aussy gardé plus estroittement à Constantinople où on attend le gran seigneur7, qui par ces actions monstre peu de volonté pour la paix, estant sans doute sur le point d'estre bientost asseuré du Persan8.
Don Schevadra9 a demandé aux Bernois le passage pour 2m hommes qui passeront le Gottard et deux autres des petis cantons, mais ils ne le veulent donner qu'à la file et sans armes hautes, ce que les Espagnols refusent se plaingnans qu'on ne leur a point déclaré ces limitations à Bade. Nous verrons bientost ce qui en sera.
Les Grisons ont permis que les trouppes qui sont dans les forts de Rhin s'en allassent à Milan d'où nous verrons bientost quelle satisfaction remporteront leur[s] députez10 qui n'aguerre y sont retournez d'Espagne.
Pour fin ie vous supplie encor per omnia sacra de disposer le sieur Heuf qu'il me contente au plustost pour le moins d'une partie de mon reste, en ayant à cest'heur si gran besoing, et demeure, monsieur,
Tout le vostre
Marini.
De Zurig, ce 16/26 de May 1639.
In dorso schreef Grotius: 26 May 1639 Marini.