Monsieur,
J'appren volontiers par vos lettres du 22 de septembre2 le retour chez vous de monsieur vostre fils3 auquel si à cause du temps je n'ay peu rendre le service que i'eusse souhaitté, pour le moins ie luy en ay conservé la bonne volonté, pour la faire paroistre en toutes occasions très promte envers luy.
La diète de Bade4 c'est finie sans aucun fruict more solito, les députez Grisons5 ayans déclaré vouloir demeurer fermé dans l'alliance à l'Espagne à quel prix que ce soit, et prians pourtant les Suisses de ne donner point aucun passage contr'eux, ce que les Suisses papistes ont accordé et se resjouissent grandement de la conjonction des Grisons avec Espagne tant pour tailler ce bras droit aux Suisses protestans que pour empêcher tous moyens à la France de rentrer plus dans ce pays-là, estans de iour à aultre plus acharnez contre icelle et s'ils avoyent
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autant de moyens come ils ont de mauvaise volonté ils luy déclareroyent desià la guerre.Considérez s'il vous plaît un peu la desloyauté du colonel Amrin lucernois6, lequel estant au service de madame de Savoye7, sans aucun sujet digne a pris celuy du prince Thomas8 dont madame de Savoye ayant fait ses plaintes à messieurs de Lucerne par son ambassadeur9 qui y réside et qui correspond tousiours avec moy. Ils n'en font aucun cas, moins le veulent chastrer our rappeller conforme les instances qu'on leur en a faites, se soucians peu de l'ignominie qui en redonde sur toute leur nation. Mais en cecy ie voy une fatalité sur la Suisse, qui ne voulant devenir plus sage à l'exemple des autres peuples ruinez, se précipitent volontairement dans la servitude estrangère facilitant par ses divisions et haines internes les desseings de l'Espagnol pieça projettés sur ces peuplez-cy, car comme sçavez du temps que les Suisses cattoliques et protestans estoyent sur le point de s'entrebattre à cause de leur[s] différens ecclésiastiques contre l'abbé de S. Gall10, l'ambassadeur d'Espagne11 avoit alors proposé au conseil de France de se servir de ceste occasion pour partager par ensemble les Grisons et les Suisses et en cédant les protestans au roy de France12 s'estoit réservé les Grisons et les cantons cattoliques, qui sont de son droit de bien séance pour le Milanois et le reste des pays que l'Espagnol tient en Italie. Mais ce que lors il a voulu parfaire par force ouverte, qui ne luy eust cousté que du sang et de despence, il le gagne cest'heur sans férir coup, tenant desià soubs son arbitrage les Grisons et les petis cantons qui font desià profession ouverte d'estre très bons Espagnols; et les protestans encor qu'ils se desfient de la France, leur estat néantmoins ne permettant autrement ils se restreignent de plus en plus avec icelle, et si le roy ne le traitte bien, il est à craindre qu'ils ne tournent à la fin la casaque aussy bien que les autres.
L'on démolit à cest'heur les forts à Chiavenne et en Voltoline qui ont bien cousté à la France, mais celuy de Rhin est encor gardé par le colonel Gouler13 assisté de sa faction, mais si on ne luy donne bientost de secours promis, il faudra qu'il ploye (?) et se face avec le reste des bons Grisons Espagnol par force. Le conseil de France y devroit mieux songer, mais on doubte icy qu'il ne s'entr'entende avec celuy d'Espagne sur leur ruine, come on avoit fait par le passé.
Hohetvil est encor bloqué, mais sans incommoder aucunement la place et l'armée impériale se consume faute de moyens de subsistes, et à mon advis attend en vain son renforcement d'Italie au moins pour ceste année.
Sed manum de tabula14.
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Ie finiray icy en priant Dieur pour la conservation de vostre santé et me reccomandant à la continuation de vos bonnes grâces demeure inviolablement, monsieur,
vostre serviteur très humble et autant affectionné
C. Marini.
De Zurig, ce 3/13 d'8bre 1639.
Je vous supplie de continuer vos bons offices envers monsieur Heuf15 qu'il me paye le reste de mon change, car autrement ie ne payeray iamais mais (sic) deubtes dont les intérests croissent journellement.
Les valtolins n'ont fait aucun hommage aux Grisons. Ils le laissent seulement administrer les charges plus hautes, n'estans en effect autre que lieutenans du roy d'Espagne16 qui les en chassera pour la moindre infraction de l'alliance qu'ils ne peuvent maintenir à la longue à cause que les conditions d'icelle ne sont prattiquables, surtout en ce qui concerne la levée de 2m hommes, car autrement ils vuideroyent bientost leur pais qui a peu de gens.
In margine: Les Turcs sont venus aux confins de Zara forts de Xm hommes pour venger la mort de leur Aga tué par les Vénétiens dans la dernière faction.
Boven aan de brief schreef Grotius: rec. 28 oct.
In dorso: 13 oct. 1639 Marini.