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Monsieur,
Avecques quelle douleur croyez-vous que je vous escrive le décès du plus grand prince d'Allemagne2, voire de toute l'Europe? Avec quel regret croyez-vous que je vous annonce la mort de mon pauvre seigneur et maistre, lequel Dieu a voulu rappeller de ce monde Lundy passé 8/18 Juillet, après une maladie contagieuse de quatre jours. Il est prodigieux de dire qu'un prince si glorieux aye deu mourir en une si méchante petite place comme est celle-cy et d'un mal si odieux que celluy dont il est mort. Une chose y est remarquable que son entendement ne l'a pas quitté jusqu'au dernier souspier de sa vie. Il a employé le peu de temps qu'il a eu à se souvenir de quelques-uns de ses serviteurs et à prier Dieu jusqu'à sa fin. Les médecins asseurent que jamais ils ne virent homme si infecté comme a esté ce seigneur.
C'est accident funeste causera sans doubte quelques grand changement aux affaires par deçà.
Les colonels s'assemblent aujourdhuy à Brisac pour prendre une bonne et ferme résolution. Monsieur d'Erlach3 y est aussy. Monsieur de Guébriant4 vient de partir d'icy pour y aller aussy tout malade qu'il est. Je croy que demain nous y accompagnerons le corps, qui sera envoyé à Weimar aussytost qu'on aura un passeport de l'empereur5.
Il est fort à craindre que nos troupes ne se débandent, principalement si l'armée ennemie s'approchent du Rhin comme ils feront sans doubte aussytost qu'il[s] auront ceste nouvelle. Il[s] ont dix mil hommes et sont alentour de Hohenwiel, où ils ont déjà bruslé la bassecourt. Sans doubte l'empereur leur fera des grandes promesses. Je ne veux pas dire que le roy de France ne fera de mesme. Mais tousiours il y a apparence qu'il auront grand esgard à la nation. Si monsieur Taupadel6 estoit en liberté, le mal ne seroit pas si grand. Mais maintenant qu'il n'y a poinct de chef, il y aura grandes brouillerie. Ils sont tous colonels et l'un vault l'autre et par conséquent ne voudront-ils pas obéyr l'un à l'autre. Monsieur d'Erlach se retirera chez luy à ce qu'on dit et ce qui est bien à croire.
Au reste il ne se pouvoit pas que nostre armée ne fut grièvement punie de Dieu pour avoir pillé, bruslé, volé, violé et tué le pouvre monde en Bourgogne. Encor le pauvre prince sept ou huict jours devant sa mort dit les larmes quasi aux jeux qu'il estoit obligé de quitter l'armée, si cela continuoit. Et à la vérité la licence y est si grande qu'il n'y eust jamais rien de pareil. Celluy qui ne sçait pas voler, passe pour ignorant. Si cela a esté durant la vie de ce bon prince, que pensé que ce sera après sa mort.
Je croy que après que nous aurons accompagné le corps à Brisac l'on nous congédiera. Pour moy je me retireray à Basle pour y attendre vos commendemens,
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bienqu'ils ne peuvent pas estre autre que de vous aller trouver. Tout le monde se retire l'un deçà, l'autre delà. Je seray bien ayse d'avoir bientost vostre responce, premièrement afin de ne pas faire grand' despence et après pour m'en aller avec les autres. Car la pluspart des serviteurs de son Altesse se retirent en France. S'il vous plaist d'addresser vos lettres au maistre de postes à Basle7 ou plutost à Christoffel Ringler8, marchand de la dite ville. Mais que ie soy là vous ferez de moy ce qu'il vous plaira et suis résolu de chercher ma fortune ailleurs. Si d'avanture ma mère n'est pas à Paris, vous ouvrirez s'il vous plaist la lettre que je luy escris pour sçavoir ce qu'elle veut que je fasse de mes chevaulx.J'attendray vostre responce avec impatience pour les raisons cy-dessus dites et prieray Dieu, monsieur, de vous conserver en bonne santé.
Vostre très obéyssant serviteur et fils
D. de Groot.
à Nieubourg, le 9/19 Juillet MDCXXXIX.
Il y a icy un gentilhomme9 de son Altesse qui est fort honeste homme, qui désire de vous aller trouver avec moy et s'y tenir 3 à quatre mois, si son service vous est agréable.
L'on n'a trouvé dans le tesdament de son Altesse que fort peu de personnes qui soyent spécifiées. Aussy n'a-t-elle pas eu le loisir de songer à tous, car il n'a dit sa dernière volonté après avoir déjà pris la cène, laquelle il prit une heure devant sa mort.
In dorso schreef Grotius: 19 Iuly 1639 D. de Groot.
En boven aan de brief: rec. 3 Aug.
En verder: Erlach. Le comte de Nassau10.