63
Monsieur,
Vostre très-aggréable du 15 courrant2 m'apprend le bon temps que M. les François ont à Paris, et je vous tiens pour bienheureux que vous vous trouvez parmy une nation où il y a tant de courtoisie et de passetemps pour les estrangers. Icy il n'y a rien de tel, ces bons Suisses ne sçachant parler d'autre chose que de bon vin et d'une bonne bourse, par laquelle ils mesurent et estiment les qualités des estrangers.
M. l'ambassadeur de France3 sera desjà à Soleure et nous sçaurons bientost ce qu'il apportera de nouveau. L'ambassadeur d'Espagne qui est à Lucerne4 a tellement quellement racco[m]modé les affaires du gouverneur de Milan5 avec les Petis Cantons, desquels il se servira derechef pour la défence de Milan, qui est en gran danger; autrement je ne crois pas qu'il eust plus recerché de regagner leurs bonnes grâces ayant à son commendement les Grisons qui vont tousjours de mal en pis.
Zambra qui a tué Planta6 n'est pas encor justicié, moins son cousin Pompeo, à l'instigation duquel l'assas[s]inat fust fait; tant la justice y est trop foulée. Ils ne sont braves qu'à prendre de l'argent et à chasser les pauvres protestans de la Voltoline, d'où, ayans forcé quelquesuns de sortir avec femmes et enfans, ceux de Puschiavo, Grisons et la plus gran part romanistes, ne les ont pas voulu reçevoir. Seulement pour y passer cest hyver, la montagne de Berline estans trop fâcheuse de passer durant ce gran froid, en sorte qu'ils furent contraints de retourner dans la Voltoline, où ils se veulent laisser plustost tuer que d'en sortir, dont les Voltolins cattoliques sont bien contans, espérans que par ce moyen la capitulation faite avec les Grisons sur ce suject7 sera à la fin rompue. C'est aussy pour cela que jusques à présent ils ne veulent acheter les bien[s] des protestans, s'excusans sur ce qu'ils n'ont point d'argent ou que le prix est trop excessif. Cependant les Grisons sont bien diligens à faire des levées pour le Milanois, mesme ceux qui sont riches et qui s'en pourroi[en]t bien passer com[m]e Guler, Mulina, Travers8 et d'autres, tant l'appétit de s'enrichir de l'argent d'Espagne est gran parmy ces peuples qui par ces vices s'en vont certes ruiner tout à fait.
Banier fait des courses jusques à Regenspurg et en Bavière, et je crois qu'il entrera bientost en Austriche où l'espouvante est grande.
Après la mort de l'électeur de Brandeburg9 on dit que celuy de Saxe10 est aussy mort, ce qui causeroit sans doute une grande révolution en Allemagne.
64
Les princes de Savoye sont encor à Nizza de la Paille et traittent avec les ministres d'Espagne qui y sont, tenans par ce moyen tout le monde en suspens de ce qu'ils voudront faire.
Les Suisses prennent gran ombrage de la France en ce qu'elle non seulement veut attaquer la Bourgogne,11 mais en mesme temps traitte le mariage entre le premier né du prince Thomas12 et la fille du duc de Longheville, seigneur de Neufchastel,13 mais le mal est que leur rodomontades ne sont point déniés.
Je demeure, monsieur,
vostre serviteur très-humble
Marin mp.
En haste de Zurig, ce 20 de Jenvier l'an 1641.
Saluez, s'il vous plaît, de ma part le frère de M. le comte Rosboroch14 en luy offrant mon logis s'il passe par icy.
Les princes de Savoye se veulent tenir neutraux entre les deux couronnes, si l'une et l'autre rendra les places par eux tenues, ce qui sera bien difficile, les Espagnols ayans surpris la citadelle d'Asty et ne veulent rendre ce qu'ils tiennent.
Bovenaan de brief schreef Grotius: Rec. 14 Febr.
En in dorso: 20 Ian. 1641 Marin.