Monsieur,
Je reçois bien vos espérances qu'il vous plaît me continuer mesmes par vostre dernière du 30 d'Avril2 avec toute sorte de joye et d'obligation que je vous dois, mais le mal est que sur icelles mes créanciers font peu de fondemment, les voyant traîner depuis si longtemps, en sorte qu'il n'y a point d'autre remède pour réparer mon crédit qu'en m'envoyant l'argent dont j'ay tant besoing à ceste heure que ma femme est sur le point de faire ses couchées, qui comme je craint luy réussiront bien mal à cause de la maladie tant d'esprit que de corps qui uniquement prend sa source de ce traittement qu'on me fait, et crois-je que si les pierres avoi[e]nt autant de sentiment que les hommes, elles seroi[e]nt plus émeues à la compassion de ma pauvreté que ne font ceux ausquels je sers, estant impossible à excuser que pour le moins on ne m'envoye 400 dalers pour avoir de quoy vivre et attendre. L'honneur et la conscience m'obligent d'attendre icy que ma femme face ses couchées, après lesquelles il faudra que je prenne quelque autre résolution, deussé-je partir d'icy à pied tout seul. Car il vaut mieux de s'en retirer que vivre loco tam illustri en mendiant et exposé in ludibrium omnium hominum. Je crois fermement que si cela touchoit un autre, il seroit desjà mort de mélancolie. Je prie Dieu qu'il me console par son S. Esprit et me face sortir à la fin avec honneur d'une si pernicieuse charge à moy et ma famille.
Pour des nouvelles je vous envoye ce que j'ay d'Italie,3 et des Grisons nous attendons advis si on permettra au colonel Guler4 qu'il sorte du pays avec son régiment qu'il a levé pour la France, tout cecy estant contre le traitté fait avec Espagne.5 Les brouilleries des Bernois continuent et nous font appréhender de plus gran[s] maux sur la Suisse qui est le seul pays qui n'a pas esté encor chastié.
On désespère de la vie de M. Banier.6 Nostre général Horn7 seroit propre pour estre en sa place et s'ennuye fort d'attendre tant sa délivrance. Il m'a prié de vous saluer de sa part et presser tant qu'on peut l'eschange concerté entre luy et Jean de Vert.
L'ambassadeur de Perse8 sera desjà arrivé à Constantinople pour ratifier la paix qu'on a conclue avec le Gran Seigneur9 il y a deux ans.
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Je me reccom[m]ande à vos bonnes grâces et demeure, monsieur,
tout le vostre
C. Marin mp.
De Zurig, ce 6/16 de May 1641.
P.S. Je vous supplie, Mon., de faire mettre l'extrait des nouvelles de Milans dans le paquet de Mon. le gran chancelier,10 car mon homme ne les a peu copier pour ce coup.
Mon.r le mareschal Horn est en soupçon qu'il veut échapper secrètement de Lindau, car on luy attribue la cause de ces délais dont la France est cause, et si on ne se haste bientost de l'eschanger contre Jean de Vert, on le rammènera en Bavière. C'est une pitié qu'on ne se haste pas avec cest affaire pour obliger tant plus la Suède.
Bovenaan de brief schreef Grotius: Rec. 1 Iunii.
En in dorso: 6 Maii 1641 Marin.