Monsieur,
J'ay bien receu vostre lettre du 17 finissant2 et crois que mes plaintes sont de plus gran considération que celles de Mon.r Heuf,3 qui est riche et a le moyen d'attendre, mais non pas moy qui suis gentilhomme de fortune et ay ruiné ma femme4 à cause de ceste charge, vivant icy comme en mendiant par manière de dire, dans le plus gran mespris du monde et à ceste heure affligé derechef d'une fiebvre que l'indigestion d'estomac causée de tant de travaux qui me pressent m'a attiré, qui tant plus s'augmentent, parce que j'appren tout fraîchement, que le résidu de ces fonds qu'on dispute à ma femme en Voltoline ont esté séquestrés par des juges y destinez, jusques à ce que ma femme y vienne ou agisse par un procureur, ce que je ne puis faire faute d'argent n'en pouvant trouver tant qu'il me suffise à vivoter journellement. C'est un horrible et jamais par moy espéré traittement qu'on me fait sans me vouloir mesme donner mon congé pour r[e]cercher ma fortune ailleurs et me délivrer de ces deubtes que j'ay fait icy durant ceste charge. A la vérité je suis digne de compassion et ne me puis assez plaindre qu'on se monstre si rude envers moy en Suède, en réduisant mes pauvres enfans ad stipem et moy ad sepulchrum, quod tandem mihi erit vice compensationis Suecicae. Vous estez bien heureux d'avoir vostre payement si réglé par-dessus tous les autres, com[m]e on le dit; vostre reng aussy accompagné de vos mérites le requi[e]rt. Mais quant à moy on tient que moy estant exilé je dois supporter tout et me contenter du pain, encor que je ne tire pas encor tant de ceste charge, sur l'entretient de laquelle j'ay contribué autant de ce peu que ma femme a eu, com[m]e on m'a donné. Patience. Dieu m'en retirera un jour. Le pis est qu'à cause de mon indisposition et faute d'argent je ne me puis retirer d'icy.
Pour des nouvelles on dit que Volfenbutel est délivré et nos armées en pauvre estat, et que Denemarc se remue contre Hamburg et fait secrètement les affaires de l'empereur. On dit
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aussy qu'il y a quelque discorde en Suède, dont vous serays mieux informé que moy qui n'ay rien de bon de vous mander d'icy horsmis la prise de Cunis par les François.5Je me reccom[m]ande à vos bonnes grâces et prie le bon Dieu qu'il me conserve en meilleure santé à cause de ma pauvre familie qui me touche bien le coeur.
Je demeure, monsieur,
tout le vostre
C. Marin mp.
De Zurig, ce 22 de 7bre l'an 1641.
Bovenaan de brief schreef Grotius: Rec. 15 Oct. 1641.
En in dorso: 22 Sept. 1641 Marini.