Monsieur,
Je loue grandement ce que vous faites pour le roy de la Grand-Bretagne. C'est la cause generale des rois et en particulier celle d'un bon roy. Je souhaitte à sa Majesté la paix avecq conservation de son authorité, à quoy, il me semble, elle pourroit parvenir facilement par l'assistance des couronnes de la Suede et de la France, si ces couronnes estoyent asseurez que la paix estant remise en Angleterre elle se mettroit avecq nous pour le recouvrement du Palatinat. Car je croy qu'un tel traitté nous feroit avoir en peu de temps une paix fort glorieuse.
La requeste des ministres en Hollande, mentionnée dans la vostre,2 presuppose des choses qui ne sont pas, et des coustumes locales [elle] veut faire une generale. La Republique de Venise surpasse en antiquité tous les estats et a tousjours maintenu dans leurs assemblées politiques: fuora presti.3 Aux Estats de Hollande jamais les ecclesiastiques n'ont eu voix, ny en Flandre avant le temps d'archiduc Albert.4 En Brabant et quelques autres provinces du Pais-Bas les abbez ont eu voix, mais ceux-là n'avoient nul soing pastoral et entroient seulement aux Estats à cause des grandes seigneuries et terres qu'ils
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possedoient. Lorsqu'on a voulu introduire les evesques dans les assemblées des Estats5 il y a eu des grandes oppositions, qui n'ont pas peu contribué aux causes des troubles.Je m'estonne de l'imprudence ou impudence de Stricland, qui a osé advancer de telles choses contre un personnage si puissant sans en avoir aucune certitude.6
Le roy traisne sa vie7 par une providence divine, comme je croy, pour donner aux autres princes un exemple de finir leur vie par des actions chrestiennes. Il a fait remercier son peuple des prieres faictes pour luy et en recompense leur promettre la paix, fort desirée de toute sorte de gens. A tenu deux fois conseil en sa chambre, quelquesfois fait aller la reine au conseil et luy faire rapport. A faict monsieur le prince grand maistre de son hostel, laquelle charge cy-devant avoit eu le comte de Soissons. A donné entrée au conseil estroit au duc de Longueville pour y continuer mesme après sa mort. Le marquis de Bresé est receu au parlement comme duc et pair de France, et sera receu comme admiral. Le bruict destine la qualité de duc et pair aussi à La Millerai, de Jesvres, Chastillon et quelques autres.
Ledit marquis de Jesvres a quelque cinq mille hommes près de Chalon. La Millerai est allé à Langres, où il a douze mille à pied, mille et deux cents chevaux. Don Melos est à Douay avecq quelques gens et traicte soubs pretexte de la change des prisonniers. Cependant on ne voit en ces quartiers-là aucune action de guerre, ny aussi en Espagne. Et l'honorable dimission que don Melos a fait faire à la duchesse d'Orleans,8 avecq offre de grandes sommes d'argent et compagnie de toutes les grandes dames du Pays-Bas, monstre que de ce costé-là on aime aussi la paix.
En Italie la citadelle de Tortone semble ne pouvoir eschapper. Cependant le prince Thomas a pris celle d'Aste. Le pape fortifie Rome des muraillez et fossez et fait mine de vouloir entrer au Modenois, continuant ses levées. Le duc de Parme ayant fait monstre à Plaisance de deux mille chevaux, quatre mille gens d'infanterie, semble, assisté de Modene, vouloir entrer au Ferrarois, le grand-duc ne se declarant pas encore, mais consultant avec Venise.
Le comte de Guebrian a receu quelque renfort9 et prend ce qu'il peut des garnisons, en intention, comme on croit, d'assieger Offenburg, cependant que les ennemis blocquent assez de loing Uberlingue. La milice de Baviere selon que disent les lettres est au pays du Burgau, le duc de Baviere en danger de mourir de la dysenterie, accusé par les catholiques de les avoir amusés par de beaux discours de ses traittez en France10 pour mettre
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en neutralité les trois cercles, n'ayant autre desseing que de s'accommoder par ces moyens avecq l'empereur sur les terres environ l'Ens, comme on croit qu'il a fait secretement. On y adjouste que les princes et villes qu'en ont eu leurs deputez près de la diete electorale, ont declaré de se vouloir tenir fermez à l'empereur et l'Empire, mais non pas aux interests d'Espagne, à quoy l'electeur de Saxe se seroit opposé, remonstrant les grandes obligations que la maison d'Austriche et tout l'Empire avoit à l'Espagne; qu'on a renvoyé l'affaire palatin à un traitté particulier, differé les affaires de la justice et de la chambre de Spier. Et on croit qu'on va tenir une assemblée imperiale à Ratisbonne et que l'empereur par [là] va à Prague pour y faire couronner son fils; que les Espagnols ont retiré les gens qu'ils avoyent au Palatinat vers le Lutsenburg. Les dames du Pais-Bas accompagnent la duchesse d'Orleans jusqu'à Peronne. Monsieur la va recevoir à Senlis.Madame d'Esguillon fait garder sa maison et les maisons voisines par des musquettiers. On a trouvé chez un marchand quatre cents mille escus, qui estoient à elle, que le roy a pris comme les siens. Et on demande à ladite dame encore autant parce qu'elle a esté oubliée à la taxe des riches. Sur quoy elle a fait ses plainctes à la reine et demandé sa protection. La reine a dit qu'elle avoit aussi eu des adversitez et que son recours avoit esté aux prieres à Dieu et qu'elle n'avoit point de pouvoir pour faire ce qu'on luy demandoit. Les ambassadeurs d'icy n'iront que le plus tard qu'ils pourront à la conference.11 On veut voir où aboutira la maladie du roy et le gouvernement, qui n'a pas pris sa plie derniere par la declaration depuis peu verifiée au parlement.12 Dieu veuille conserver ce royaume des desordres, remettre l'Angleterre en paix et après nous donner la paix generale.
Je suis, monsieur,
vostre tres humble serviteur.
9 May 1643, à Paris.
Par le registre de la Bastille il parut que durant la domination du cardinal de Ricelieu mille cinq cents personnes successivement ont esté mis à la Bastille. On croit que le roy agonize. La declaration du roy pour adjouster le duc de Longueville au conseil de regence a esté verifiée au parlement. Le pape fait de levées jusqu'en Suisse. D'Angleterre nous apprenons que depuis le retour des parlamentaires qui avoyent esté près du roy, l'esperance de paix se perd, et qu'il y a grande querelle entre la haute chambre et la basse à cause des lettres de madame de Northumberlant à son mari, ouvertes par quelqu'un de la basse chambre. En Irlande on dit que les romanistes ont de l'advantage.
Bovenaan de copie staat: M. Vicquefort.