Monsieur,
Depuis que je ne me suis donné l'honneur de vous escrire, c'est-à-dire depuis nostre depart de Schafhausen,2 nous nous sommes veus plusieurs fois en presence des ennemis
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sans les avoir sceu jamais obliger à un combat general à cause des bons postes et passages dont ils se sont prevalus pour nous empecher les entrées de leur pays.La premiere fois que nous eusmes esperance de vuider nos differens en peu d'heures fut aupres de l'abbaye de Salmonsweyler proche du lac de Constance.3 Lorsqu'estans en marche pour aller prendre poste à Ravensbourg,4 qui est de la Suabe, nous vismes marcher les ennemis à costé de nous pour gagner le devant, ce qui fit resoudre monseigneur le marechal de detacher cinq escadrons de cavallerie pour les engager au combat, ce que n'ayant succedé à soubhait à cause d'une hauteur qu'ils avoyent occupés et de mille mousquettaires qu'ils avoyent logez dans un bois pour favoriser leur cavallerie, les nostres furent contraints de se retirer jusques au corps de l'armée, qui se campa ce soir aux environs dudit Salmonsweyler. Les ennemis ayant obtenus ce qu'ils desiroyent, à sçavoir de se mettre entre nous et Ravensbourg, se logerent à Marckdorf à une petite heure de nous. Nous passasmes ainsi trois ou quatre jours, au bout desquels monseigneur le marechal, voyant que son premier desseing n'avoit reussy à soubhait, se resolut de l'abandonner pour en prendre un autre, lequel succedant pouvoit faciliter la nourriture de nos soldats, qui dès lors commençoyent à manquer de vivres.5
Nous allasmes doncq passer le Danube à Dutlinguen et arrivasmes le lendemain devant Rotweil, ville imperiale, où il y avoyent des gens de guerre de l'armée de Baviere. Nous nous mismes toute la nuit à preparer tout ce qui estoit necessaire pour battre la place dès que le jour seroit venu, lequel fut employé à faire breche, mais si peu raisonnable que sur la minuit comme on y donna l'assault de tous costez il ne s'y trouva aucun endroit propre pour y entrer, ce que voyant monseigneur le marechal, après avoir eu nouvelles que l'armée bavaroise estoit campée à une heure et demy de nous, prest[e] à jetter du monde dans la ville assiegée, il se resolut de la quitter pour aller camper à Horb, qui est une ville de la duché de Wirtenberg. Mais avant que nous y sceusmes arriver nous y trouvasmes les ennemis, qui par une diligence presque incroyable avoyent gaigné le devant et s'estoi[en]t rangé en bataille en lieu si advantageux que trois ou quatre mille homme[s] y eussent peu suffire pour empecher le passage à une armée de 20000 hommes. Deux jours passerent à nous canonner les uns les autres sans autre rencontre digne de remarque, hors les escarmouches qui s'y firent.
Après toutes ces peines inutiles la faim nous a contraint de faire ce que toutes les forces des ennemis n'eussent jamais fait, c'est-à-dire de nous retirer dans la vallée de Kentzig pour y sejourner quelques jours afin de donner le loisir à nos soldats de faire provision de vivres. Tant il est difficile de vouloir entrer en pay[s] ennemy, où on a en teste une armée plus forte que la nostre, où des ennemis tiennent toutes les places, et où il y a tant de lieux avantageux pour nous empecher de passer outre sans rien hazarder.
C'est de quoy je vous ay voulu faire le recit dès aussytost que nous sommes arrivez icy, esperant que vous le‹s› recevrez comme une marque de mon obeissance. Je suis, monsieur,
vostre tres humble et tres obeissant serviteur,
D. de Groot.
Au quartier de Wolfach, ce dernier de Juillet 1643.
Adres: Monsieur/monsieur l'ambassadeur de Suede, à Paris.
Bovenaan de brief schreef Grotius: Rec. 14 Aug.
En in dorso: 31 Iulii 1643 D. de Groot.