Monsieur,
Bienque j'aye demeuré si longtemps sans vous escrire, je n'ay pas pourtant mis en oubly ce qui estoit de mon debvoir en vostre endroict, ainsi que je le vous aurois tesmoigné si j'eusse rencontré d'occasion de vous servir comme je le désirerois avec passion. J'ay veu un petit mémoire venu de vostre part concernant les livres Arabes recouvrez en Levant par le S.r Golius2 pour les S.rs Estats de Hollande, qui me faict grandement louer la générosité de cez Messrs et le bon zeelle du S.r Golius d'avoir prins la peine d'aller si loing chercher des occasions de sauver la vie à cez braves hommes de l'antiquité, qui ont escript de si belles choses, et à conserver leur mémoire qui seroit possible estainte sans luy. Estimant beaucoup cez oeuvres de philosophie d'Avicenne3 non encores veus et cez trois libvres du supplément de l'Aristote de Animalibus4 qui mériteroient bien la recherche des cinq restants, mais cependant une bonne version de ceux-là ne pourroit estre que trez bien receue. Mais j'estimerois bien d'avantage cez versions Arabiques de tant d'excellentes pièces des anciens Grecs que l'on dict estre en estat, et dont je vouldrois bien avoir veu le réelle, principalement de celles que le S.r Golius a desjà par
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devers luy, dont je serois bien plus curieux que de l'Alcoran, comme aussy des chronologies de cez païs d'orient qu'on dict estre en ses mains, avec des observations astronomiques, tables ou éphémerides, dressées par commandement de cez roys que l'on tenoit estre si barbares, dans le plus profond du Cattay durant cinq ou six cents ans. C'est M.r Gassendi5 qui l'a escript en ce païs icy, où c'est qu'un gentilhomme Breton6 nous en avoit dict prou de choses que nous ne croyions pas si librement mesmes des pièces d'Archimède, Euclyde, Ptolémée, Apollonius Pergaeus7 tout entier, et autres non encores veues de noz jours, que le dict S.r Golius se vante d'avoir apportées en l'Europe, dont le siècle présent luy seroit bien redevable aussy bien que la postérité, s'il se résolvoit de les faire mettre au jour plustost que plustard. Mais cependant, un roolle de ce qu'il a donneroit bien du goust et de l'appétit des pièces entières, et pense qu'il y debvroit travailler, ou pour le publier, ou au moings pour le communiquer aux amys plus curieux, attendant que son loisir luy laissast donner au jour les livres bien accomplis et bien assortis. Et quand cez Mess.rs d'Angleterre en feroient de mesmes de ce qu'ils ont ravagé en Constantinople, ils feroient encores mieux, que de laisser languir le monde qui est en expectation desjà bien longue et qui vouldroit au moings voir que c'est qu'il y a desaulvé du naufrage, et ce qui s'en peult attendre. Le pauvre mons.r Seldenus8 ne veult pas vacquer à cela comme je m'asseure qu'il eust faict trez volontiers, aussy bien qu'à ce qu'il a donné des marbres du conte d'Arondel9. Parcequ'il est debtenu prisonnier à mon trez grand regret pour le zelle de la patrie et du bien public, aussy que vous l'estiez autres foys. Je pense que celuy qui avoit recueilly les originaulx pour le dit conte d'Arondel, doibt estre longtemps à de retour en Angleterre, et que luy mesmes pourroit bien envoyer au moings un peu de bordereau des libvres par luy recouvrez si on l'en faisoit rechercher. Et que l'ambassadeur10 qui est le dernier venu, et qui a emporté-ce dict on-de si grandes et importantes despouilles des bibliothèques du Mont Athos, en feroit bien aultant s'il vouloit, de ce qui le touche luy. Il faubt voir de les en faire solliciter.128
Au reste j'ay faict mettre dans le coffre de M.r de Thou11 le volume d'Eclogues de l'empereur Constantin Porphyrogénète12 que j'avois recouvré du Levant afinque vous voyiez s'il y auroit rien dans cez petites fragments, qui méritast de n'estre pas supprimé. Et croyez que vous soyez en assez de loisir, pour vous donner la peine - si vous jugiez que la chose le mérite - de le parcourir, et de le mieux ranger qu'il n'est pas, l'ayant faict descouldre, parcequ'il estoit tout transposé, et en ayant rangé quelque chose, mais il y en a, qui requéroient une meilleure main, et plus exacte que ne pourroit estre la mienne, pour examiner la conformité du style des uns et des autres, et les bien distinguer. Je plains principalement ce qui est du Nicolaus Damascenus13, dont manque le commancement du recueil, et dont je vouldrais bien à tout le moings que vous eussiez prins la peine de r'amasser les pièces et desbris pour l'amour de moy. Et ce qui est du Polybe, au cas que le tout n'ayt desjà esté trouvé d'ailleurs, ou la meilleure partie comme je m'en doubte, ce qu'il y a du Dion moins abrégé que dans Xiphilin, et ce peu encores qu'il y peult avoir de l'Appian14, ne debvra pas estre possible négligé, et à tout cas la collation du surplus sur ce qui se trouve mis au jour, pourra encores fournir quelque jour, sinon des suppléments de grandes lacunes, au moins des diverses leçons cappables de réparer quelques passages corrompus dans les éditions. Mais cela se pourra commettre à tels autres que vous adviserez, pour ne vous surcharger de cette importunité. Le principal est à mon gré - sans considérer beaucoup cez petits abrégez du Ioannes Antiochenus, du Ioannes Mallela et de ce Georgius monachus15, qui ne sont pas de grande authorité - de pourvoir s'il est possible bientost à ce pauvre Nicolaus Damascenus, que je vouldrois bien voir en estat d'en gouster les fragments, puisque nous n'avons pas son Histoire entière. Je vous supplie donc trez humblement de l'entreprendre, si ne l'avez dezagréable et à tous le moings de m'en escrire vostre advis. Je n'ay pas voulu faire relier le volume, pour vous laisser plus de liberté de rechanger, ce qui ne sera bien en ordre, et pour le pouvoir faire avec plus de commodité, j'ay faict tendre des fillets d'une franche file à l'autre, au long du dos du volume par le dedans, afinque sans rien coupper, vous en puissiez
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tirer et remettre les cahiers et les feuilles que vous vouldrez, en tel endroict du libvre qu'il vous plairra. Et si le voulez voir au mesme ordre qu'il estoit lors qu'on me l'apporta du Levant, il ne fault que tirer touts les cahiers hors des difillets, et puis les remettre selon l'ordre de schiffres opposez à chascun feuillet. Et lors (?) vous verrez mieux l'ordre que vous y vouldrez mettre tout de nouveau, pour aprez le faire remettre dans ses fillets, ou bien le relier et couldre tout à faict, ainsie que bon vous semblera. Et vous supplie de trouver bon, que Mess.rs Rigault, de Saulmaise et Bignon16 y puissent passer quelque heure dessus, s'ils en avoient envie lorsque vostre commodité le portera, comme aussy M.r Aultin17, s'il vouloit se servir de cez fragments de chronologistes Chrestiens, pour son Syncellus. J'abuse possible trop de vostre bonté, mais je suis bien asseuré que vous le prendrez en bonne part de moy, qui suis et seray à jamais,Monsieur,
Vostre trez humble et trez affectionné
serviteur
de Peiresc.
à Boysgency ce 20 Nov. 1629.
Mr. Grotius.
Adres: A Monsieur Monsieur Grottius A Paris.
In dorso schreef Grotius: Rec. Iulio 1630.