Monsieur,
Les agitations de cette mer sont encore si grandes que je ne voy pas bien encore quel port il me faudra prendre.
Pour la trefve je ne voy point d'apparence qu'on y songe. Au contraire oultre ce que donnent les moyens du pays on lève des grandes sommes à interest et on espère deux millions du roy par l'entremise de monsieur Vosbergen2 pour tenter
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la fortune des armes de bonne heure et ne perdre pas la bonne occasion que les prospéritez du roy de Suède3 et voz armés estants sur la frontière nous donnent. Et comme ordinairement ceux qui ont la conduicte des armée n'oublient pas quand le public le permet d'avoir soing de leur particulier, vous sçaurez bien iuger, quelle ville on destine à noz exploicts.Je voy le roy protecteur sans dispute de Savoye et de Lorraine, et croy que volontiers les electeurs et évesques catholiques de l'Allemagne se ietteront dans ses bras pour asseurer la religion et la souppe lesquelles choses ils croiront courir grand risque, si ces vents de Nord continueut à souffler. La chanse a esté assez longtemps contraire au povre Palatin4; il est temps qu'elle tourne. Je suis marry de ce nouvel embarras du parlement et souhaicte de tout mon coeur que cette brave compagnie conserve sa liberté et lustre ancien. Pour le moins nous avons de quoy nous consoler de ce que monsieur Bignon5 n'a poinct de part à ces maux. Sa santé est l'honneur du palais. Monsieur de Thou6 faict ce qui est propre à sa maison ne perdant aucune occasion de bien faire à toutes sortes des gens jusqu'à moy.
On attend icy monsieur de Saumaise7 qui reproche bien nostre paresse à nous autres qui avons eu le mesme livre, mais n'avons pas prins la peine que luy a prinse qui sans doubte un jour sera utile au public. Il n'apartient qu'à luy de manier des manuscripts. S'il a trouvé quelque roman de Damascenus8 je ne m'en estonne pas puisque le récit qu'il faict de la Sibylle qui parust à l'heure que Croesus fust mené au feu9 en tient beaucoup.
Vous me resjouyssez par la nouvelle de la pièce que vous avez recouvert de ce grand personnage qui par son grand iugement a surpassé de beaucoup les esprits de noz siècles et ne cède à aucun des anciens. Si elle ne doibt estre d'usage public elle ne peut estre guardée en lieu plus digne qu'en vostre bibliothèque.
Je vous remercie bien humblement de l'assistance que vous donnez à ma femme et avecq touts le amis de deça fais mes bien humbles baisemains à tout ceux de delà.
A Monsieur Monsieur du Puy. A Paris.