Monsieur,
Je ne reçois jamais de vos lettres, que je n'en tire beaucoup de bonnes instructions, ce que j'ay particulièrement expérimenté en la vostre dernière, qu'il vous a pleu m'escrire le 19 du mois passé2, où j'ay trouvé vostre jugement de ce meschant Colloque de Bodin3, auquel j'ay pris grand plaisir. Et puisque vous m'escrivez n'y trouver aucune chose, qui puisse grossir vostre livre De veritate Religionis Christianae4, il sera à propos que vous le rendiez à monsieur Cramoisi5 pour le renvoyer avec ses livres, pourveuque vous n'en ayez pas besoin davantage;
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car en ce cas, vous le pouvez garder, de sorte que vous le renvoyerez, ou le garderez ainsi que verrez pour le mieux. Et comme ce livre peut nuire grandement d'un costé, aussi peut il servir en quelque façon pour les questions naturelles qu'il traicte.Pour vostre susdit livre, nous en avons veu depuis peu une troisième édition6, d'une plus grosse lettre que les premières, que le fils de Jean le Maire7 a apportée en cette ville, lequel m'ayant dit que vous y aviez adjousté quelque chose, j'en ay pris un, et m'estant venu voir le Sr. le Maire, je luy ay dit comme j'avois receu de vos lettres de Francfort, où vous estes avec vostre famille en bonne santé, et sur ce qu'il m'a dit que le bon monsieur Vossius avoit perdu son fils8, qui nous avoit donné en latin l'histoire de Reydanus9, j'ay pris part à l'affliction qu'il en a eu et vous aussi.
Je viendray maintenant à vous respondre sur ce que vous m'avez escrit, pour replique à la même précédente, à sçavoir, que l'onction appertenoit au baptesme et non à l'imposition des mains, de mesme que le goust du laict et du miel; sur quoy je vous diray que si quelques-uns l'ont ainsi pensé, cela est venu de ce qu'aux premiers temps tout aussi tost après le baptesme l'on chresmoit, et communioit les néophytes. Et pour le laict et le miel, on ne les donnoit qu'après l'Eucharistie; comme on peut voir dans les anciens rituels et par ceux qui en ont escrit ex professo. Et excusez moy si je vous dis que le goust du laict et du miel n'a esté en pareille observance que le chresme, et de fait l'un a cessé, et l'autre est demeuré.
Pour le reste de vostre lettre, j'en demeure d'accord avec vous; aussi désirerois-je que ceux qui traitent les controverses y voulussent apporter cette modération que j'apperçois en vostre procédé, et tout en iroit bien mieux; puisque tant d'un costé que d'autre, l'on ne doit avoir d'autre but, sinon que la vérité vainque, et non aucun parti, ayant toujours fait estat de fuir ce studium vincendi, duquel parle Sulpice Sévère10, en le blasmant en la personne de ces évesques Espagnols, qui procurèrent la mort de l'hérétique Priscillian11 et de ses fauteurs; auquel temps j'ay bien peur que nous ne soyons retombez.
Je quitteray ce discours, pour vous faire part de nos bonnes nouvelles, dont monsieur du Puy12 - qu'on appelle maintenant monsieur de Sainct Sauveur, à cause du prieuré que monsieur de Thou13 luy a donné - vous en escrivit hier le premier bruit qui venoit d'arriver; et à présent je les vous confirme, disant vous
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que Monsieur, frère du roy14, a couché cette nuict vers Soissons; le roy luy a envoyé des carrosses, et à ce qu'on me vient de dire, Sa Majesté luy est allé au rencontre. On dit qu'il s'est sauvé, sous couleur d'aller à la chasse du renard un matin, avec vingt cinq des siens, dont il n'y avoit que quatre, qui sceussent son dessein; et comme il fut en la campagne, il leur dit qu'il falloit aller chasser plus loin, et ainsi il s'est échapé des Espagnols. Dequoy la France a grand sujet de se rejouir.Pour les livres, monsieur Petit de Nismes15 est icy, qui fait imprimer ses Loix Attiques; estant fait, il ne manquera de vous en faire part. Je feray tenir vostre lettre à monsieur Bergeron16, qui est à Blerencourt pour passer ses vacations; et ne me trouvant autre chose à vous dire, je vous salueray, avec madame vostre femme et toute vostre maison, priant Dieu de vous garder de tout mal et vous donner tout le bien que vous peut souhaitter,
Monsieur,
Vostre très-humble et très affectionné serviteur
Jeh. de Cordes.
De Paris, ce 11. October 1634.
Monsieur Bignon17 ne vous a peu escrire de ce voyage, ce sera pour le premier, et quand vous escrirez à monsieur de Sainct Sauveur, mettes en la maison de monsieur de Thou, rue des Poictevins, derrière Sainct André des arcs. Monsieur le président Lusson18 se porte fort bien. Monsieur des Hayes19 aussi, qui est à Montargis pour ses vendanges.