Monsieur,
Avant que d'aller en cour, à quoy ie suis tout prest, ie n'ay voulu manquer de vous mander le départ de mons. le grand chancelier2 qui fut de Diepe Vendredy passé avec quelque apparence d'un vent favorable, mais qui ne dura guères, tellement qu'il est à craindre qu'il aura esté longtemps sur mer et encores n'avons pas nouvelles de son arrivée en Hollande l'inhibition du commerce rendant le transport mesmes de lettres très difficile, à quoy s'est adiousté l'ordre du roy3 et des parlements pour saisir touts les biens appartenants aux sujects du roy d'Espagne4 et l'insinuation faicte au cardinal-infant que le roy veut tirer par les armes raison du tort faict à l'électeur de Trèves5 et de la protection de sa Majesté.
Le roy nomme l'armée, qui asteure est aux environs de Liège pour se ioindre avec l'armée des états généraux, l'armée de l'Union. Dieu soit loué que sa Majesté se porte mieux asteure et conserve sa royale personne et ses ministres contre touts meschans desseins qui en ce temps icy, comme il semble, ne manqueront pas estant en cette ville, il y a cinq iours, pendu un prebstre nommé Tonnelier6, qui avoit esté participant d'une conspiration contre mons. le cardinal7.
On parle fort icy non seulement de la guerre en Allemagne et au Pays-bas, mais aussi en Italie, l'armée du mareschal de Créquy8 se tenant preste pour passer les Alpes et attirer les ducs de Savoye9, Mantoue10, Parme11 et d'autres au party françois tellement qu'il semble que ceste année icy nous fera voir des choses longtemps attendues par une grande partie de l'Europe.
A Bourdeaux il y a quelque esmeute du pelé peuple12 à quoy on travaille de mettre ordre.
Nous sommes icy en grande incertitude sur le faict du traitté de Pirne13 la cour ayant advis qu'il est rompu et autres ayants lettres de Dresden qui asseurent le raccommodement. Ce qui me fait tant plus désirer l'arrivée de monsr. le grand chancelier en ces quartiers-là pour confirmer ce qui reste de bon et corriger tout ce qui corriger se peut.
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Dieu nous en fasse la grâce et vous conserve, Monsieur, en sa protection paternelle.
A Paris, le 23. de May 1635.
Vostre serviteur très humble et très obéissant.
Au point que ie vouloy fermer cette lettre nous apprenons que les François ont prins Marce-en-Famine aux vues de l'Espagnol et qu'aussi la guerre est commencée.