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Monsieur,
J'ay esté bien aise d'apprendre par la vostre du 9/19 d'aougst que quelques-unes des miennes sont parvenues à vos mains. Je n'en ay pas manqué d'escrire iusques à ce que tous les chemins ont esté bouchez, lesquels nous espérons que maintenant se rouvriront par les armes de monsieur le landgrave, qui, comme ie croy, ont donné l'escorte à la vostre.
Nous ne sçavons rien de certain de ce qui se passe asteure prez du Rhin, pource que les Lorains nous empeschent les chemins de Strasbourg, contre lesquels le roy2 va avec vingt régiments et neuf mille Suisses. Sa Majesté est encore à Châlon empesché par la goutte de s'approcher plus à cette frontière, où commandent deux braves chefs, le duc d'Angoulesme3 et le mareschal de la Force4, qui tiennent assiégez trois mille et cinq cens Lorraine à St. Michel. Il faudra bien qu'ils se rendent à discrétion, ou bien que le duc5 vienne à une bataille, chose désirée par les François. Nous avons quelquefois des advis de Mets, mais qui à cause de la distance des lieux où les grands affaires passent, ne nous donnent pas grande certitude, mais sont croyables en ce que(?) nous font espérer la conjonction des forces de monsieur le landgrave et du cardinal de la Valette6 qui a avec luy le duc Bernhard7, et ayant passé le Rhin a forcé Gallas8 de faire autant. C'est icy grand mal que l'accord de la ville de Francford a anticipé le grand effort, laquelle asteure sert de retraitte et de passage aux ennemies.
Si i'eusse peu continuer, monsieur, l'envoy de mes lettres, ie vous eusse mandé les affaires du Pays Bas, là où après une bataille gagnée l'espérance a esté bonne, mais Dieu en a disposé autrement, pour monstrer que les plus belles apparences ne sont pas tousiours suivies des plus grands effects.
Après que la licence militaire a donné des très mauvais exemples à Thienen9, nos amis ont failli à prendre Louvain à faute de vivres pour nourrir l'armée, et par mesgarde ont perdu le fort de Schenck10. Mais le prince d'Orange11 a apporté du remède à ce mal, ayant faict d'autres forts de touts costez pour blocquer cestuy-là, excepté le costé du Wael là où l'ennemi 'sestoit mis avec son armée, mais laquelle par la difficulté d'avoir de vivres sera forcez de se retirer, si elle ne l'a faict desià, et nous ouvrir le chemin pour rentrer dans le fort perdu si non durant l'hyver, pour le moins au printemps.
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Encore Dieu ne nous a pas oublié tout à faict de ce costà-là, puisqu'il [a] osté aux Espagnols un grand homme d'estat et de guerre, aymé des peuples et des soldats, qui est le marquis d'Aytona12, la mort duquel vaut bien la victoire d'une ville, Mais plus grand bonheur nous a acquis cette année le duc de Rohan13, lequel ayant battu deux fois bravement les gens de l'espagnol14 et de l'empereur15, a osté d'entre leurs mains la Valteline toute entière, le comté de Bormio et le val de Monasterio, et a faict trembler le Tirol. Il fait aussi un fort contre celuy de Fuentes. Ainsi les armes du roy et des Grisons touchent d'un bout l'estat de Milan, cependant que le mareschal de Créquy16 l'attaque du costé du Montferrat, ayant prins Villatta et allant à Valence, accompagné outre les troupes du roy de celles des ducs de Savoye17, Mantoue18 et Parme19, et favorisé de Vénise, desquels commencements il faut espérer de plus grands succès.
Ce m'est un plaisir incroyable que d'apprendre par toutes les lettres de monseigneur le grand chancelier20 la grande estime qu'il faict de la grande constance et vertu de vostre landgrave, presque le seul prince alleman trouvé à l'espreuve de la fortune. Je n'ay manqué d'en faire rapport au[x] ministres du roy icy et principalement à Mons. le cardinal21: comme ie ne manqueray pas aussi en prendre le temps pour faire valoir vos propositions louables.
Je vous prie de me faire part tant de fois que pourrez, de ce qui se passe en vos quartiers et des choses que vous iugerez de pouvoir mettre en oeuvre pour advancer le bien public, ie demeureray à iamais, monsieur,
vostre serviteur.
Le 10/20 Septemb. 1635.