Monsieur,
Par le baron de Canysi2, mareschal de nostre camp, qui s'en va trouver le roy3 pour les affaires de la pauvre Valtoline, ie n'ay pas voulu manquer de vous adviser de la réception de vos deux très aggréables, l'une de 27 de 9bre4, l'autre du 4 de Xbre5 sur le suject desquelles i'ay parlé à monseigneur le duc6 auquel il a esté si aggréable qu'il m'a commandé expressément de vous faire sçavoir l'estime qu'il fait de vos rares qualitez et que toutes et quantesfois qu'il vous plairra entretenir la bonne correspondance avec luy, il l'aura à gré come celuy qui chérit particulièrement les gens de vostre sorte. Ie vous prie donc de vouloir aggréer à son Ex.ce en sa demande et vous asseurer que ce n'est pas un prince attaché à des panelles mais aimant la rondeur et vertu d'un chacun.
Icy nous passons l'hyver à la façon des soldats qui, d'ordinaire, gastent le pays, les bons souffrant avec les mauvais qui ont causé ces misères de la Valtoline, où nous ne sçaurions iouir de rien jusques à ce qu'on y mette meilleur ordre, ou qu'une paix universelle en face vuider la soldatesque. Les Allemans ne passent pas encor par la Suisse encor qu'ils ayent le passage libre, quelques-uns disant qu'ils soyent contremandez pour renforcer l'armée de Gallas7 plus d'un tiers ruinée par la famine et disette de toutes choses.
En Italie Créqui8 va empêcher le passage aux Espagnols venans de Naples au nombre de 5m hommes pour le secours du Milanois, l'armée duquel se met aussy en ordre pour le suivre et faciliter la conjonction des siens. L'on continue à fortifier Brem, Candia, Sartyrana pour y avoir un pied ferme et envahir au printemps avec trois armées le Milanois, les villes duquel estant desià bien pourveues de tout
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on trouvera bien de la peine à les prendre par force. Monseigneur le duc traitte cependant avec les Voltolins pour les disposer à la dévotion des Grisons, avec quel succez peu de iours nous en es[c]lairciront.S'il vous n'avez point veu la responce au manifeste du duc de Parme9 ie la vous communiqueray en recevant l'advis.
Le Turc10 doit avoir battu le Persien11 en rase campagne, traittant sur telle desfaite la paix avec luy ce qu'estant nous le verrons bientost en Europe. J'en attens plus de particularités de monsieur Haga12 mesme.
Pour fin ne recevant jusques icy aucun payement de mon gage, ie vous supplieray encore une fois de repprésenter vivement à monseigneur le gran chancelier13, autrement mon gran proxène (?), les difficultés de la famine dans lesquelles nous nous trovons icy enveloppez vivant parmy une incroyable cherté qui règne icy et dans tout le pays de Grisons et de Suisse. La soldatesque consume tout de sorte que au défaut des services que ie devrois avoir á l'armée, il faut que i'achète desià et le foin et le bois et en somme la moindre chose par argent et ayant 3 chevaux et 4 personnez vous pouvez bien juger quelles despences que ie fais parmy les François qui d'ordinaire sont splendidez au traittement. On me n'envoye pas aussy aucune résolution pour mon voyage de Constantinople où on a desià adverty le gran seigneur de ma venue, sans que i'en puisse donner aucune asseurance au sieur Haga qui en a escrit à son Ex.ce à laquelle ie ne doute nullement que vous n'ayez point envoyé par promte addresse ses lettres que ie vous ay (ta)nt reccomandées.
Pardonne-moy, monsieur, de l'importunité que ie vous donne si souvent avec mes paquets qui ne peuvent plus passer par la voy d'Alcace et du Paletinat: faisant tout par nécessité et sur l'appuy de vostre particulière affection, dont il vous plait favoriser celuy qui est si passionnément, monsieur,
vostre serviteur très humble
Mariny.
De Morbegno, ce 8 de Janvier l'an 636 à l'entrée duquel ie vous souhaitte toute sorte de prospérité.
In dorso schreef Grotius: 8 Ian. 1636 Marini;
en: Rec. 6 Ian. (sic) n. st.
Boven aan de brief : Rec. 6 febr. n. st. 1636.