Monsieur,
Suivant le commendement que monseigneur le grand chancelier m'a faict devant son depart, j'ay pris la hardiesse par diverses fois d'escrire à vostre Excellence pour la faire sçavoir l'estat des affaires et ce qui se passe en deça.
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Il est vray que depuis 15 jours le troublement des affaires du costé du Rhin m'a tenu tellement en eschec que je me suis dispencé un peu de mon devoir en cet endroict, mesmement ne sçachant si vostre Excellence a receu les precedentes que je luy ay addressées de Montbeliard et de Borentru,2 mais les armées commençant à s'acheminer de tous costés, mesme celle de monsieur le mareschal de La Force3 s'estant mise en action, j'ay creu ne devoir manquer plus longtemps de donner advis à vostre Excellence de l'estat de nos affaires.
Vostre Excellence sçait que les ennemis ayants trouvé moyen de passer cependant que nostre cavallerie s'amusoit en Lorraine et à poursuivre le conte de Mansfeld,4 ils nous firent quitter tout de premier abord horsmis Franckendahl Vormes, Mayence, Creizenach, Kaiserslautre, Landstuhl et ce que nous tenons dans l'Alsace, dans lesquelles places toute nostre infanterie qui nous demeura de reste des garnisons de Manhem, Heidelberg, Francfort, Hanau et Gustavebourg, fust mise, et se retira son Altesse de Vinmar5 avec la cavalerie jusques à Sarepont aux confins de la Loraine. Aussitost et mesme devant qu'elle fust arrivée on depescha couriers de tous costés, tant au roy qu'à monsieur le prince de Condé6 et monsieur le mareschal de La Force. Mais comme messieurs les generaux ont le pouvoir trop limité et l'armée dudit mareschal de La Force se trouvant en aussi mauvaise humeur de repasser en Allemagne qu'en pouvre estat pour ce faire à cause de la fatigue qu'ils disent, on perdit d'abord le temps à attendre l'ordre du roy, et ne fust jamais possible de rien faire que de faire mettre l'armée en garnison autour de Luneville, ce qui aussi bien estoit leur intention pour servir de dos à celle qui luy servoit de front, dont les ennemis firent tellement leur profit que par frayeur ils tirerent la ville de Vormes des mains des bourgemestres, bloquerent Mayence de 5000 cuirassiers, assiegerent Lautrevoire,7 furent si hardis de venir avec 6000 chevaux jusques aux Deus-Ponts pour y mettre garnison, dont ils furent pourtant empeschés des nostres.
D'ailleurs le duc de Loraine8 estant passé en Alsace avec une armée de 6000 chevaux et 5 à 6 mille fantassins, il assiegea Colmar, leurs osta le Mulbach,9 envoya une partie de 4000 chevaux avec Jean de Werth10 vers Saint-Dieux, où il enleva les quartiers de Batilly,11 se saisit des cornettes, surprit Saint-Forgis et Vigneul,12 qui pour sauver les bagages tendirent 16 drapeaux, prit tout le bagage de Gassion et de Lossy,13 voire passa jusques à Blamont et fit des courses jusques à Vic. Le duc mesme avança avec 3000 chevaux et 3 regiments de pied jusques à Remiremont, où il arriva si à l'impourviste qu'on n'eut jamais loisir d'en retirer le regiment de Normandie que pour elargir les quartiers on y avoit fourré; ils repousserent pourtant quelques assauts et sortirent à la fin, enseignes desployées, meche allumée, etc. Quant aux ennemis, ils firent tant de courses de touts costés qu'il n'y avoit point de seurté pour avoir quartier jusques à celuy du roy.
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Ce fust alors que monsieur le mareschal de La Force, appercevant que ce n'est pas tout de demander rafraichissement si devant toute chose on ne se met en seurté des ennemis, il fust contraint de faire ce que les afronts receus n'estoient capables de luy persuader, assçavoir de faire assembler les troupes et les mener vers l'ennemy comme de faict il tient rendez-vous le 8/18 à Luneville, en partit le jour d'après pour aller droict à Remiremont, dont il s'ensuivit que le duc ayant ses troupes dispergées et la retirade un peu longue, d'autant que le passage de Danne14 est encore à nous, il quitta Remiremont et prit le chemin qu'il estoit venu. Ce que est de son intention on ne le peut pas juger encore, mais j'en donneray advis à vostre Excellence aussitost qu'il me sera possible. L'armée de monsieur le mareschal peut estre forte de 19000 à pied avec les troupes de monsieur de Bellefores,15 qui se devoient joindre à monsieur le cardinal de La Valette.16 La cavalerie est fort harassée, les compagnies sont la plus part de 30 fort, peu de 40; le regiment est de 330; Hecourt17 un peu moins; Batilly peut estre 100; le baron de Sale et les nouvelles comp[agnies] de Batilly ne sont pas encore arrivées.
L'intention de monsieur le mareschal est de ne passer pas Remiremont; aussi a-[t]-il ordre de se joindre en cas de necessité avec son Altesse. Quant à l'armée de monsieur le cardinal de La Valette, monsieur du Hallier,18 estant passé par icy Samedy passé, laissa ses troupes entre les mains de monsieur le colonel Hebron,19 le Lundy d'après le cardinal arriva au Pont-à-Mousson, dont il vint hier en cette ville et prit aujourd'huy le chemin de Louiselles.20 Monsieur le colonel Hebron m'asseure que l'armée est forte de 18000 à pied et 3000 chevaux; pour les mousquetaires à cheval, dont on me dit qu'il y a 2000, je croy qu'on en aura besoin, nonobstant le passage de Picolomini21 en Flandre, considerant que l'armée de Gallas22 est bien forte et que le roy d'Hongrie23 amene un renfort de 10 à 12000 hommes.
Le marquis de Sourdis24 succedera à la place de monsieur le colonel Hebron, cestuycy n'estant pas trop bien avec le mareschal de La Force, dum hic illius temeritatem, ille mareschalli maturitatem criminatur, quasi meritae per tot annos gloriae invitus periculum faceret;25 de mesme est-il de monsieur le mareschal de La Force et de monsieur de Feuquieres,26 leurs jalousies estant desja tournées en haine.
Nostre armée est tousjours à Sarepont en attendant celle du cardinal. Je croy que les nouveaux mareschaux de camp sont empeschés à faire leurs trains, et nous en patissons cependant, n'y ayant de l'herbe à 3 lieues à la ronde. Ceux de l'autre27 ont repoussé un assaut et ont endommagé les ennemis de beaucoup d'une sortie, lesquels ont faict retirer les 6 regimens qui y estoyent, et y ont envoyé d'autres. De plus on tient que le conte de Hanau a tué 500 hommes dans Gelnhause.28
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Au reste, vostre Excellence peut sçauoir que monsieur de Bonnika29 est à la cour, et je ne sçay si ce n'est pour faire payer nos troupes, mais l'importance de l'affaire c'est de quelle façon on le demande. Nous sommes en peine de monsieur le grand chancelier30 mesmement; le duc B[ernhard], à ce que j'entens, se plaint de ne recevoir point de ses lettres. Depuis qu'il est party de La Haye nous n'avons point appris de ses nouvelles, et il est impossible de luy faire sçavoir des nostres, touts les passages estants fermés, mesme celuy de Mayence, et le roy d'Hongrie a mis empeschement aux correspondances de Birgden.31 Si vostre Excellence luy escrit, je la supplie d'y joindre la presente, au moins pour mon excuse, dont je luy auray une obligation tres particuliere, et tascheray de m'en revanger toutes et quantes fois qu'il vous plaira de m'honorer de vos commandements, monsieur,
vostre tres humble serviteur,
De Gemmingen.
Metz, 9/19 July 1635.