Monsieur,
J'ay receu quelque jours passez la vostre du 18/28 de Novembre, et vous remercie grandement de la peine qu'avez prins de m'instruire des affaires qui passent en vos quartiers et des iugemens qu'on y faict, en quoy vous ne m'avez pas obligé [moi] seul, mais aussi monsieur le grand chancelier2 à qui i'en ay donné part.
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Les discours qui se tiennent là sur les desseins du pape3 ne sont pas esloingnez de la coustume de cette cour-là ni de l'apparence du temps. L'autorité que le pape veut avoir seul à moyenner la paix générale n'a pas peu aider à précipiter plusieurs protestans à la paix particulière et pourtant dangereuse. Monsieur le grand chancelier pour cela ne perd point de courage; mais s'estant desambarassé de ces conférenses avec Saxen4, Brandenbourg5, Lunenburg6, Mecklenburg7, tous ces princes au lieu d'amis incertains s'estant assez déclaré nos ennemis, il a eu recours aux armes, et estant renforcé de l'armée qui avoit esté en Prusse, a pourveu à la défence de la Poméranie et par l'adjunction des troupes suédoises a raffermi l'armée du mareschal Banier8, dont une grande partie composée d'Allemans estoit esbranlée par les menaces et par les efforts de l'électeur de Saxen. En suitte de quoy environ le 22 d'octobre vieu style ledit marescal ayant attaqué avec cinq cent chevaux, mil et sept cents chevaux des ennemis qui vouloient passer l'Elbe les a mis en fuite, prins beaucoup d'enseignes et des prisonniers. Au mesme temps Baudissen9 qui autrefois ayant servi le roy de Suède10 s'est mis au service de Saxen, avoit assiégé la ville de Demitz près de l'Elbe avec sept mille hommes d'infanterie: contre lesquels le général maior Ridwein11 Escossois estant envoyé les a mis en telle desroute, et le gouverneur de la citadelle assiégé[e] de Demits12 a fait la mesme heure une sortie si furieuse, qu'une grande partie y est demeurée sur la place, plusieurs commandeurs prins et Baudissen à grande peine eschappé y ayant laissé son espée. Nous attendons asteure les nouvelles de ce que ledit marescal Banier et Ridwijn auront fait depuis qu'ils se sont ioincts, contre le pont que les Saxons font sur l'Elbe près de Tannenberg. Cependant Mons. le grand chancelier ayant mis bon ordre par tout, est allé de Stetin à Stralsond pour de là passer en Suède et informer Mess.rs les régens ses collègues13 de l'estat présent des affaires pour prendre ensemble des résolutions vigoureuses pour la défence de ce que la couronne de Suède tient en Allemagne, cependant que la France de son costé ne cesse aussi de faire des grands préparatifs: et qu'aux Provinces Unies des Pays-Bas le prince d'Orange14 a prins quelques chasteaux et postes advantageuses delà le Wael, et dans le Betuwe s'est rendu maistre de tous les ouvrages de l'ennemi, excepté une demye lune, laquelle estant prise, ce qu'on espère voir bientost, le fort de Scenck15 estant sans dehors ne pourra pas subsister longtemps.
Nous espérons que les bons Suisses ne manqueront point à leur debvoir pour empescher les progrès d'une grandeur qui ne peut estre que très suspecte à leur liberté.
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Gallas16 est près d'Hagenu, le duc Charles17 au Franche Comté, l'évesq de Verdun18 va trouver Piccolomini19.
L'électeur palatin20 est arrivé en Angleterre et receu selon sa qualité. Ce que nous fait espérer que les ambassadeurs françois en Angleterre21, et l'anglois icy22 feront quelque chose de bon.
On commance aussi à croire par tout le mariage du roy de Poulogne23 avec la seur dudit électeur24 et le mescontentement dudit roy du costé de l'empereur25. La France tâche aussi d'animer le roy de Danemarc26 pour l'intérest de l'évesché de Bremen.
Dieu veuille diriger tout à une paix honneste et raisonnable et vous conserve, monsieur, en prospérité.
Vostre serviteur très humble.
A Paris, le 18 dec. 1635 nouv. style.