Monsieur,
Le soulagement dont vous faites mention par vos dernières,2 que M. Mukel3 m'auroit apporté, est bien petit, car il n'y a que 60 pistoles qu'il m'a presté pour les luy rendre quand j'auray receu mon change. De cela je me suis nourry dix sepmaines et le reste employé à ce qu'il faut à ma femme durant ces couchées, et ores suis dereschef contraint de mendier de l'argent çà et là chez des amys qui m'en donnent journellement par commisération plustost qu'au-
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trement, ce qui m'afflige tellement que je ne sçai à quoy me résoudre. A cecy s'adjouste qu'on cite ma femme pour comparoistre ou en personne ou par un commis en Voltoline,4 à cause qu'un de ses parens luy dispute la possession de certains fonds qui importent 8 m. escus, qu'on avoit adjugé il y a longtemps à sa famille, et si nous n'y mettons point d'ordre vers le mois de 7bre qui est le terme péremtoire, iudices volunt pronunciare sententiam contra absentes. Or en cecy il faut avoir de l'argent, la plaidoirie coustant beaucoup en Voltoline, et si je ne reçois pendant ce temps mon change, il faut que je le perde, n'ayant que trop de despence pour m'entretenir en ma charge avec neuf personnes. Si vous pouvez disposer M. Heuf5 qu'il m'accom[m]ode pour le moins de deux cent dalers, vous me ferais gran service; autrement je suis failli tout à fait.Vostre guerre intestine m'afflige fort et devroit esveiller la Suède à la perfection de son traitté avec la France,6 afin que nos ennemys ne profitent de nostre disunion, qu'ils cerchent, et là-dessus font le plus gran fondemment de leur desseing.
Ce qui se passe icy et ailleurs, vous le verrez par cy-joinct paquet,7 lequel après avoir leu je vous supplie de l'envoyer par promte adresse avec vos reccom[m]endations accoustumées de mes affaires, qui certes vont de mal en pis de tous costez, et si on ne m'assiste bientost, Deum testor, il faudra que je me retire icy honteusement n'ayant de quoy vivre icy; aussy ne m'estonné-je pas que mes créanciers font telle difficulté à me prester plus d'argent, puisqu'ils voyent qu' on a si peu de soing de moy, oultre qu'ils sont desjà bruslés par tant d'estrangers, surtout par le résidant d'Angleterre8 qui y doit de gran sommes et ne sçait-on qui les payera.
Je me reccom[m]ande à vos bonnes grâces et prie Dieu qu'il aye pitié de mon affliction qui certes est incroyable.
Je demeure, monsieur,
tout le vostre
C. Marin mp.
De Zurig, ce 8 de Juillet l'an 1641.
P.S. Faites part, s'il vous plaît, à M. Salvius de mes advis que j'ay tiré de mes lettres que je reçois chacque sepmaine d'Italie et sur le[s]quelles je me puis fonder, puisqu'elles viennent des gens d'estat avec lesquels j'y correspond. Tâchez aussy pour Dieu que j'aye bientost quelque soulagement dans mes nécessitez.
Bovenaan de brief schreef Grotius: Rec. 30 Iulii.
En in dorso: 8 Iulii 1641 Marin.