Monsieur,
Je loue vostre soing pour le publicq et vous remercie de celui que vous avez pour mes enfans. L'aisné est à Venise,2 croyant trouver là une guerre plus reiglée que n'est celle de France. Le dernier de mes fils, qui a esté au feu monsieur le duc de Wimar, m'a escrit de Rothwil lorsque cette ville estoit prise par les François.3 Depuis il n'y a eu icy aucune nouvelle de luy, et nous ne sçavons s'il est de ce quattre mille prisonniers à Dutlinge et Meringe et partagez entre les Bavarois et Lorrains, ou s'il est des officiers qui sont sortis libres de Rothwil, les soldats jusques à deux mille ayant esté forcés de prendre partie, ou s'il a esté parmi la cavallerie qui a esté attrappée à la retraicte. Le mal a esté grand et madame de Ranzou n'a pas esté plus heureuse depuis son catholicisme qu'auparavant.4 On parle icy de lever icy de nouveau XXV mille hommes,5 mais c'est une chose de longe haleine, et il y a de remuemens en Poictou, qui pourroient estre suivis d'ailleurs.
J'ay receu une lettre de monsieur le landgraef de Darmstad et veu son envoié, qui m'a mis entre les mains ses pieces justificatifves touchant la succession de Marpurg.6 J'ay promis de les lire à loisir et faire ce que de Suede me sera ordonné.
Monsieur Le Strade, qui a faict pour monsieur Coligni l'appel au duc de Guise et a esté second dudict monsieur de Coligni contre le duc de Guise ayant pour second un de ses domestiques, a commendement de se retirer en Hollande, comme le duc de Guise à Medon et monsieur de Coligni à Chastillon. Je croy que monsieur le prince d'Orange ne sçaura pas mauvais gré de cette action de monsieur Strate, comme aussi ne faict le duc d'Anguien, qui a voulu retirer chez lui monsieur de Coligni, mais le prince de Condé ne l'a pas permi. C'est une suitte de la querelle de madame Mombason avecq madame la princesse et madame de Longueville sa fille. Le combat s'est faict Sammedi le douziesme Decembre à la Place Royale, aprèz-midy, et l'evenement que monsieur de Coligni, ayant tombé deux foix, la seconde a esté desarmé et assés rudement traicté par le duc de Guise.
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Ceux de la religion louent grandement monsieur de Coligni de ce qu'il a voulu vanger la mort du feu admiral de Coligni. Il y a de l'apparence que ceci aura d'autres suittes. Le parlament a commencé à s'informer.Le duc d'Orleans veut avoir la nomination des grands officiers de la guerre et on croit que monsieur le prince va en Bourgogne. Ledict duc d'Orleans porte hautement les affaires du duc de Guise, à qui le pape a escrit afin qu'il espouse la princesse Anne de Mantoue. La suspension d'armes avecq la comté de Bourgogne s'est continuée jusqu'au nouvel an. La reyne-regente a commendé à monsieur de Buzenval, qui estoit parent de l'evesque de Beauvais, de se [de]faire de sa charge de capitaine de guardes. Les extraordinaires ambassadeurs de Venise sont partis. Milord Gorin ne se monstre pas encore. Le chasteau de Nage, qui au Rouargue estoit tenu par les mutins, s'est rendu aussi. Le fils du duc d'Anguien a esté tenu au baptesme par le cardinal Mazarini Henri Giule, duc d'Albret. Le marescal de La Milleray est icy et bien veu à la cour, et croist-on qu'il aura de l'employ l'année qui vient. On continue à mettre ordre contre la cherté du bled et on parle de cinquante nouveaux edicts qui sont à la fonte.
En Italie l'armée spagnuole est prèz Alexandrie, et plusieurs de là et du reste de Milanois s'enfuient pour prendre service des Barbarins ou de la ligue. L'armée françoise est au Langres et au Verdun,7 composée de deux mille chevaux, quatre mille d'infanterie. Les Barbarins ont eu quelque avantage sur les Toscans, mais [ont été] malmenez par les Venitiens par le Fort Urbano. On nous dict que [des] ennemis en haut [?] Mercy est prèz de Schiltach, le duc Charles prèz Durlach, les sept regiments d'Hazfeld en Franconie.
Nous avons d'Espaigne que Francisco de Menezes a eu la teste tranchée à cause de certaines disobeissances aux faits d'armées, que la duchesse de Medina-Sidonia sollicite pour la liberté de son mari, pas sans esperance de reuscir, qu'à Seville on a faict reveue des estrangers portuguais, françois, anglois, et qu'on les a desarmés, que les galeres d'Espagne, de Naples, de Sicile ont porté des refraichissements à Roses, que Piccolomini a prié le roy d'Espagne de pouvoir aller servir avecq une pique au siege de Monçon et que le roy d'Espagne lui a prié d'attendre jusques à ce que sa Majesté l'aille accompagner aussi avecq une pique. L'opinion est que Leopold s'excusant du gouvernement du Pays-Bas, on le donnera à don Jan d'Austria, bastard d'Espaigne, et que Piccolomini aura soubs luy le mesme employ que le marquis d'Aytona a eu soubs le cardinal-infant. Nous apprenons aussi que le roy d'Espagne s'excuse se fournir de trois cents lances, à quoy le royaume de Naples comme feud est obligé, disant que cette guerre ne touche pas proprement ni l'eglise ni le Siege apostolique, mais que veut travailler à pacifier le differend.
Je suis, monsieur,
vostre tres humble serviteur.
XIX Decembre.
L'accord de Duttlinge a esté signé par le duc Charles. Du troisiesme quartier de Rosa à Mulem8 quelqu'uns se sont sauvez à Hohentweil et Rotweil, les femmes renvoiées libres. Les Saxons à Francfort monstrent joye, les Bavarois [se] portent comme avecq compassion. Les Castellans envoyent au devant la flotte d'argent qui vient des Indes occidentales. On dit [de] Rio de Jennier en Brasil sont arrivez en Portugal vingt et huict navires qui portent quatorze mille quesses de sucre, et un grand galion des Indes orientales. En Italie Crepalcore est surpris par les Barbarins, les Modenois repoussés de Piumazzo. Princeps Condaeus iam abiit in praefecturam suam Burgundiae.
Bovenaan de copie staat: A monsieur Wicquefort.