Monsieur,
Je ne trouve pas estrange que les dissensions de la cour de France2 continuent, plustost m'estonné-je qu'elles n'esclatent plus avant, veu l'estat present de la France, quae ut Carolus etc. dicere solebat, viro opus habet et quidem authoritate pollente.3 Dieu neantmoins, qui agit tousjours par le contraire et fait paroistre sa force dans la foiblesse des hommes, est puissant de destourner le mal que nos ennemis s'en promettent, surtout à ceste heur que le viconte de Thurene est en Alsace.4
Au reste, je ne vous puis asseurer encor rien de certain de la negotiation de paix entre le pape et la ligue, le cardinal Bichi estant encor à Florence et attendu à Venise, où les plenipotentia[i]res de la ligue sont assemblés,5 et à ce que je voy, ils ont peu d'esperance de la paix, tenant toutes les actions des Barbarins pour artifice et faisans pourtant haster leurs levées de tous costés; le mesme fait le pape6 de son costé pour avoir une puissante armée au prinstemps, et voulant monstrer qu'il estime comme il faut l'espée de Saint-Paul, a fait deux cardinaux de ceste profession-là, l'un françois et l'autre espagnol, qui sont monsieur le bailly de Valencé,7 commandant ses armées soubs monsieur le cardinal Antoine, et don Juan de Lugo,8 tous deux personnages de merite et qui n'ont esté portés
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d'autre reccommandation que de celle de leur valeur aupres du pape, qui fait juger par là qu'il croit en pouvoir avoir encor affaire ce prinstemps. Cependant on escrit qu'il y a de la contagion à Boulogne et Ferrare, ce qui fait que ces deux lieus ont esté bannis par les Venetiens, qui n'ont pas encor adjousté leur passage ny par la Suisse ni par les Grisons,9 mais le residant de Venise y travaille fort.10Vous sçavez que nostre bon Mukel est mort d'une maladie en trois jours,11 dont je suis bien marry en ceste conjoncture des affaires de l'Alsace, où il a fort bien servy. Il seroit à souhaitter que son revenu fust converti pour l'entretenement de ceste residance, puisqu'on se plaint tant en Suede de la despence grande. Je veux esperer que sur ceste occasion on faira quelque reflexion pour advantager ma condition, qui sers desja unze ans12 et puis dire que j'ay engagé plus de dix mille dalers en ceste residance, pour l'entretien de laquelle il faut avoir necessairement deux mille dalers. Il est temps que je pense à mes affaires et de mes pauvres enfans.
Vous me mandez par la vostre du 15 de ce mois13 d'avoir receu ma derniere lettre sans datte, ce qu'i[l] ne faut pas trouver estrange, car la difficulté de trouver de l'argent pour l'entretien de X personnes et de tant de correspondances que j'ay,14 fait que j'oublie souventefois des choses plus importantes.
Je me reccommande à vos bonnes graces et demeure, monsieur,
vostre serviteur tres humble,
C. Marin m.p.
De Zurig, ce 20 de Decembre l'an 1643.
Le bruit court d'un eschec que les imperiaux auroi[en]t receus par les nostres,15 mais sans aucune certitude.
Uberlinghen16 est bloqué par terre et par eau, et Mercy, avec quelques trouppes arrivé aupres du lac, se fortifie dans Stoken17 pour vaquer tant mieux à ceste entreprise.
Bovenaan de brief schreef Grotius: Rec. 14 Ian. 1644.
En in dorso: 20 Dec. 1643 Marin.