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Monsieur,
Je voy par la vostre du 1 de ce mois2 que vous avez tousjours bonne esperance de la concorde des Suisses et Grisons,3 qui veritablement seroit à souhaitter, mais pour moy je ne vous en puis encores asseurer veu la mesfiance grande qui regne parmy eux, surtout entre ce canton‹s›-cy et les Petis Cantons. Quant aux Grisons, ils ne sont plus capables de se conserver libres, mais il faut necessairement qu'ils ayent un maistre qui les tienne en cervelle. Le differend de dix droitures reccommance à s'aigrir, ceux de Tavos ne voulant aquiescer à la sentence que les protestans suisses ont donnée touchant l'election de leur Landamman,4 de sorte qu'on y craint de nouveau un remue-menage, pourveu qu'il y eust aucun qui soufflast au feu.
Quant à la paix entre Rome et la ligue on la tient pour faite et soubscrite de part et d'autre,5 mais avec tout cela les Barbarins6 veulent demeurer armés tant que le pape vit encores, craignant qu'il ne sçauroit eschapper deux ou trois mois à cause de sa grande foiblesse, qui fait qu'il se sert du lait de deux nourrices dont on l'entretient, et sa mort produira indubitablement quelque schisme.7 On dit neantmoins que les Barbarins feront licentier quelques trouppes inutiles, et qu'il y a des ministres de France qui veillent pour les attirer au service de leur maistre, ce que je croy fort probable,8 les François n'estant pas si forts en infanterie en Italie comme ils publient.
On s'approche d'Uberlinghen9 pour le battre avec du canon, car on dit qu'il y a des vivres encore pour deux mois, le gouverneur en ayant trouvé dans des maisons des bourgeois gran[de] quantité. Quelque cavallerie en est sorty à vive force et passé jusques à Hohetvil pour asseurer les François de l'estat de la ville. L'ambassadeur de France tra-
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vaille pour contenter messieurs de Zurig touchant la violance que ceux de Hohetvil ont usé dans leur village sur les gens du Copet, et moyennant qu'on rende les prisonniers et ce qu'on leur a pris, tout cela s'appaisera amiablement.10On tient Rakozy fort de 80 mille hommes et que le[s] Hordaques sont de son costé,11 que les nostres ont pris l'isle de Finen en Denemarc12 et Elsenburg dans la Sceine,13 ce qu'estant il faut esperer bientost une bonne paix de ce costé-là.
Pour mon particulier je ne reçois pas encor ny de Suede ny de Münden et Osnaburg aucune responce sur mes instances,14 vivant pourtant icy comme desesperé et si abbatu des malheurs qui m'affligent en ceste charge que je me souhaitte plustost mort que vif souventefois; aussy est-ce une tentation plus qu'humaine, defraudari suo stipendio par 4 ans entiers et avoir sur ses espaules une si lourde despence.
Dieu me console et vous conserve en sa saincte garde, moy demeurant, monsieur,
vostre serviteur tres humble,
C. Marin m.p.
De Zurig, ce 7/17 de Mars 1644.
Bovenaan de brief schreef Grotius: Rec. 31 Martii 1644.
En in dorso: 17 Martii 1644 Marin.