Monsieur,
Il ne suffit pas que la mutinerie de Brisac nous afflige tous extremement,2 il faut qu'elle soit accompagnée mesme de la reddition d'Uberlinghen, qui est desja au pouvoir des Bavarois,3 les François en estans sortis le deuxi[e]sme de ce mois en fort petit nombre de 300 ou 400 hommes, et accompagnés jusques à Laufenburg. Ils ont eu un accord fort honorable à cause de leur valeur qu'ils ont tesmoigné à la defence de ceste place-là, et s'ils eussent esté plus forts ils la pouvoyent garder encor 3 ou 4 sepmaines, mais faute d'hommes et d'esperance d'estre secourus il se faloit rendre et mettre dereschef toute la Suabe en liberté, et les Grisons et Petis Cantons hors d'apprehension d'estre un jour incommodés de ce costé-là. On tient à ceste heur bloqué Hohetvil avec 2500 hommes4 et
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le reste de l'armée bavarienne va plus bas pour attaquer Neuburg5 ou Friburg, si les François ne les en empechent. Les Suisses protestans en sont fort esbranlés et apprehendent quelque plus gran[d] malheur pour la France.En Italie on se resouit de la paix publiée desormais tant à Venise qu'ailleurs, avec des remerciemens solennels à Dieu pour un si gran[d] bien que la France a procuré à l'Italie,6 mais je ne voy pas qu'elle en gagne trop, la plus gran[de] part des Italiens licentiés7 aimant mieux de servir l'Espagne que la France en Italie, où on ne la voudroit voir plus puissante de ce qu'elle y est à ceste heur. Les Espagnols ne sortent pas encor en campagne faute d'argent8 et je crois que le mesme manquement empeche le prince Thomas,9 car autrement il eust desja entrepris quelque chose contr'eux, sçachant fort bien leur foiblesse à Milan. Mais tout cela disposera à la fin les parties à une paix ou tresve longue.
Je n'attend[s] que la responce du baron d'Ochsenstirn10 sur ce que je luy ay escrit, et l'ayant sans argent je me mettray aussytost en chemin vers Paris pour aller en Suede et vous entretenir de bouche du reste. En attendant ceste faveur je prie Dieu qu'il nous conserve tous deux en bonne santé et me face la grace de porter utilement la qualité que j'ay prise de longtemps de vivre à jamais, monsieur,
vostre serviteur tres humble,
C. Marin m.p.
De Zurig, ce 9 de May l'an 1644.
Plusiours cardinaux à Rome ont desja pris la pension de France,11 mesme le prince de Corbagnano12 de la maison de Calonnes, esté autrefois austrichien.
Bovenaan de brief schreef Grotius: Rec. 1 Iunii.
En in dorso: 9 May 1644 Marin.