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Monsieur,
Je vous remercie bien fort de vostre lettre du 31 Aoust et des pieces y joinctes,2 par lesquelles je voi que la longue experience des maux a faict penser serieusement aux remedes et que le sentiment, qui a esté comme enseveli avecque nous,3 de la souveraineté des provinces, nullement confondue par l'Union d'Utrecht, commence à revivre. Ce qui se dict dans le serment de maintenir la religion telle qu'elle est receue publiquement, si cela s'entend que les ministres qui sont du sentiment du Synode de Dordrecht seuls auront les gages et les temples publicqs, peut passer. Mais si l'intention est d'obliger tous ceux qui ont part au gouvernement de se declarer estre du mesme sentiment, je croi que cela rendroit inutiles au pays plusieurs qui ne valent pas moins que les autres. La restriction adjoustée à la defence de prendre des presents en ces termes ‘defendue par le droict escrit’ est une porte bien large, puisque la coustume est d'envoyer quantité de foeders4 à la fois et que mesmes les vaisselles d'argent, qui servent à manger ou à boire, passent sous le nom de ‘esculenta et poculenta’. C'est pourquoi il me semble qu'il vaudroit plus d'imiter en cela la plus sage des republiques, qui est celle de Venise. Error enim modicus in initio, maximus est in processu. Mais en recompence en cela je voudrois faire les gages beaucoup plus grands, afin que ceux qui sont mis en des charges si eminentes peussent vivre avecq honeur et que les gens de bien qui ne sont pas trop riches ne soyent point exclus.
Icy le duc de Beaufort demeure en prison,5 le duc de Vendosme et madame la duchesse esloignés. Ils se plaignent qu'ayants rendu des grands services à la reine après la mort du roi et la reine ayant monstré une grande confiance en eux, asteure tous les autres qui sont revenus ayants recouvert leurs anciens gouvernements ou d'autres grands emplois en recompence, ils ayent perdu par jalouzie d'Estat le gouvernement de Bretaigne et n'ont pas peu obtenir l'admirauté qu'on leur avoit promise, à cause de l'opposition forte que font monsieur le prince et le duc d'Anguien pour le duc de Fronsac, Bressé. Pour lequel affaire le duc de Beaufort, estant venu vers le cardinal Mazarini, n'avoit receu autre reponce que: ‘parlés au prince’. Il est certain que monsieur le cardinal le Mardi passé huict jours avoit pris une telle espouvante qu'il n'oza demeurer en son logis, mais se retira au Louvre. Il a augmenté le nombre de ses gentilhommes et estaffiers au lieu de guardes et ne se fiant tant à autre personne qu'à monsieur de Chavigni, cerche à le restablir et a desja obtenu decharge de son ambassade, tellement qu'il a rappellé son train qu'il avoit envoyé à Rouen. Et pour attirer le duc d'Orleans le prince de Condé a proposé et le cardinal secondé qu'on luy paye ses pensions pour le temps qu'il a esté hors du royaume.
La reine icy a revoqué un grand nombre des donations qu'elle avoit faict comme estant obtenu par subreption. Les financiers pour se rachepter des peines du peculat donnent au roy soubs le nom de prest dix millions. Ici il y en a qui croient qu'on pourra tirer vingt et cinq million par an en augmentant l'imposition sur le sel.
Le prince et le cardinal sont pour faire durer la guerre, suivants en cela les instructions du cardinal de Richelieu. Et dict-on que le duc d'Anguien va pour se joindre au marescal de Guebrian, qui a ses trouppes deça et delà du Rin et un pont en son pouvoir; et que le marescal Ranzou avecq l'avantgarde le precede, prenant la routte de la Sare. On dit que les Bavarois ont pris Oberkirch et sont à present six mille hommes plus forts que ledict marescal de Guebrian et que le duc Charles, voyant que les desseings de la maison de Lorraine ne reuscissent pas bien icy, prend autre resolution et donne à Mercy le principal
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de sa cavallerie, le reste de la cavallerie et une partie de l'infanterie à Beck, qui estant sur la Moselle attend trois mille et un peu davantage des gens de l'empereur, retirez du pays de Couloigne. L'armée dudict Beck a receu de l'argent à Saint-Vit. Et le duc d'Angoulesme a entre la Meuse et la Moselle quelques gens pour guetter l'ennemi.On publie icy comme une grande conqueste celle de Siric, faicte par le duc d'Anguien. Et de l'Espaigne on nous dit que Salvaterra en Galisse est prise par l'armée de Portugal et demolie, que le roy d'Espagne est à Sarragoça, le marescal de La Motte-Odincourt à Barcelone avecq l'armée navale. En Italie Trin est pressé, le duc de Parme generalissime de toute la ligue. A Mantoue quelques cardinaux et deputés traittent de la paix.
D'Angleterre nous apprenons que nonobstant la perte à Glocester les forces du roy s'augmentent, les grands du parlement se retirent et que mesme la chambre de communes est divisée, tellement que la ville de Londres est forcée de prendre des resolutions à part pour sa seureté, que la trefve estant faicte en Irlande on a mis à Dublin en liberté ceux qui avoyent esté mis en prison pour avoir favorisé le roy et en leur place on y a mis d'autres qui avoyent esté contrariés à sa Majesté. On nous asseure aussi que l'empereur va en personne à l'armée qui est en Boheme et en Moravie pour y attirer la noblesse hongroise, qu'à Francfort par pluralité l'opinion a prevalu de continuer là l'assemblée et de faire l'amnestie relatifve à la Paix de Prague et à la derniere resolution prise à Ratisbone, contre quoi les protestans n'ont rien peu faire que protester.
Je suis tousjours, monsieur,
vostre tres humble serviteur.
19 [sic] Septembre 1643.
Le duc d'Anguien est devant Longuy et on doubte s'il ira plus avant. Saint-Germain, qui a tant escrit contre le cardinal de Richelieu, est venu icy et par le cardinal Mazarini presenté à la reine-regente. Monsieur de Chavigni sera ministre d'Estat. Les evesques de Beauvais et de Lizieux se retirent. A Naples on a faict defence de servir en guerre à aucun prince estranger, soubs lequel nom on aussi comprend le pape, lequel a envoyé des armes et des matelots en bon nombre pour garnir ses galeres et les opposer à celles de Venize et Toscane, et a envoyé cent et cinquante mille escus à Bouloigne pour la solde de sa milice. Nous apprenons aussi que les Anglois qui sont pour le roi assiegent Glocester et Barstapel. Vous sçaurez en vos quartiers s'il est vray, ce qu'on dict icy, que Macao s'est declaré pour le roy de Portugal et que le fils du roy [de] Monomotapa en Afrique a esté converti à la foy chrestienne par les dominiquains portugais. La cour d'Espaigne a pris le deuil pour le feu roy de France et celebré les funerailles.
Bovenaan de copie staat: A monsieur Wickefoort.