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Monsieur,
Je demeure vostre redevable de vos bons offices qu'il vous plaît continuer pour moy, qui véritablement suis digne de compassion, et s'il me faudra attendre icy sans argent, jusques à ce que ces M. Suédois à qui vous avez leu ma lettre2 ayent responce de Suède, il sera fait de moy. M. Heuf3 devroit faire ceste charité et m'accom[m]oder de deux ou 300 dalers pro interim, pour avoir au moins de quoy vivoter et attendre le reste avec plus de repos et de patience que je ne fais jusques à ceste heure, vivant en perpétuelle fâcherie et sollicitude pour l'entretien de ma pauvre famille réduite tantum non ad stipem. Jugez-en, Mon., si cela ne me doit toucher au vif qu'après avoir servi avec tant de despence quasi neuf ans, ruiné les affaires de ma femme,4 gasté ma santé en ceste charge et négligé d'autres occasions de m'advancer ailleurs, à ceste heure je sois abbandonné de tout le monde et réduit à avoir faute de pain avec les miens. Pourtant vous m'obligeray de disposer M. Heuf à l'envoy de quelque peu d'argent pour moy, et j'en veux attendre encor icy la responce de vous; mais passé ce temps je seray forcé de casser mes gens et me retirer ou chez vous ou à Benfeld ignominieusement, en laissant icy ma femme avec les enfans endeubtée et exposée à la risée du monde et l'importunité de mes créanciers qui me donnent mille peines, en sorte qu'il ne seroit pas estrange que tant de chagrins m'attirassent une maladie bien dangereuse, tout ce que je mange et bois se convertissant en venin à cause de l'affliction de mon esprit qui est incroyable. Il faut que je me console en Dieu, qui dirigit gressus suorum fidelium,5 et fait retourner tout en leur bien à son temps.
Je vous envoye cy-joint la copie de ce que M. Pepliz6 m'a escrit, estant digne qu'on le communique à Mon. Salvius.7 Je ne crois pas que l'empereur accepte telle proposition encor que de soy-mesme fort raisonable, mais le duc de Bavière8 craignant pourtant que les Palatins c'en retourneront sans rien faire [sic].
En nostre voisinage on réassiège Hohetvil par quelques trouppes de l'empereur et du duc de Bavière ramassés en Suabe, que le colonel Spar9 doit commander, et les trouppes du Ghil de Has10 le doivent joindre pour former un corps de 5 à 6 m. hommes et avec cela laissant bloqué Hohetvil, reprendre les villes forestières si M. les François n'y pourvoiront à bon heure.
Il n'est pas aussy sans suject qu'on fortifie Constance à toute oultrance sur le territoire de la Suisse, ce qui luy sera un autre Fuentes, qui jadis a esté le commencement du malheur des Grisons.11 Ceux de Zurig le voudroi[en]t avoir empêché, mais parce que les cattoliques en sont contens et d'autres protestans haussent les espaules, on laisse faire aux Austrichiens tou[t] ce qu'ils veulent et ne s'en repentiront que trop tard.
Le nepveu de M. le général Banier12 a passé par icy en Italie avec son maistre d'hostel
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et un valet. Dieu le conduise et vous maintien[n]e en sa sainte garde, moy demeurant à jamais, Mons.,vostre serviteur tout à fait acquis
C. Marin mp.
De Zurig, ce 7 d'8bre l'an 1641.
S'il vous n'avez point veu ce qui c'est passé entre l'empereur et l'ambassadeur d'Angleterre,13 je vous en manderay une copie sur vostre advis.
Bovenaan de brief schreef Grotius: Rec. 30 Oct.
En in dorso: 7 Oct. 1641 Marin.