Monsieur,
J'appren[ds] par la vostre du 27 passé2 le soing qu'il vous plait continuer pour le bien
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des pauvres Grisons, ausquels j'ay escrit il y a quelques sepmaines3 que s'ils veulent envoyer quelqu'un à la cour pour y traitter de leurs interests, qu'ils y seront assistez par vostre faveur, et sçauray bientost ce qu'ils en auront resolu. Il y a quelque peu de gens de bien parmy eux encor, mais la plus gran[de] partie sont des gens grandement prophanes et dont l'argent est Dieu, surtout ceux qui y gouvernent à present, tant cattoliques que protestans, qui sont pires que ceux-là en ce qu'ils persecutent ces pauvres gens de la Voltoline de leur religion, et non contans de les avoir forclos de la liberté de leur religion et habitation en Voltoline et demander ce qu'on leur a pris injustement, ils leur demandent à ceste heur les legs pieux de leurs ancestres, establis uniquement pour l'entretenement de leurs ministres en Voltoline, pour convertir cest argent en d'autres usages particuliers, ce qui est horrible; et si la maison de ma femme sera forcé à payer ce ..., elle est ruinée sans resource, car ils ne veulent pas seulement le capital, mais aussy l'interest pour 22 ans. En hoc unico documento videre licet quo genio homines isti ducantur, et il ne faut pas trouver estrange si Dieu les chastiera encor plus.Ce n'est pas monsieur d'Erlach, qui a pris par escalade Uberlinghen, mais le gouverneur de Hohetvil, homme de gran[d] courage, y ayant trouvé gran[de] quantité de blé, d'argent et d'autres meubles et armes, que tout cela on dit monter au prix d'une tonne d'or.4 Nos Suisses en sont bien en peine, se voyans bloqués de tous costés, et par la prise de ceste ville-là le chemin facilité pour prendre celle de Costance, qui mettroit la bride aux Petis Cantons, qui sont maistres de la Turgovie et de Rinthal. On tache pourtant d'induire l'archiduchesse d'Inspruc de mettre en neutralité Costance,5 mais nous ne sçavons pas si la France y voudra consentir.6 Les Grisons en sont aussy fort alarmés et croyent que le roy veut passer de ce costé-là par Bregenz et Feldkirch dans les Grisons et de là dans le Milanois, qui l'apprehende fort.
Ce neantmoins, les Espagnols font tout ce qu'ils peuvent pour se preparer à une gagliarde resistance,7 voulans recouvrer Tortone ou Nizze de la Paille8 devant que les François se puissent mettre en campagne. Leur secours de Naples passera par l'estat du pape et celuy de Gennes; de là on leur destine aussy deux millions pour la guerre d'Italie. L'affaire du duc de Parme9 demeure encor en suspens. On en traitte neantmoins tant à Florence qu'à Venise, le pape ne voulant se lier avec l'Espagnol pour la defence d'Italie si ce point n'est pas vuidé.
Je me reccommande à vos bonnes graces et demeure, monsieur,
tout le vostre,
C. Marin m.p.
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De Zurig, ce 2/12 de Fevbrier l'an 1643.
Monsieur Aaxel Thurosohn10 a passé par icy à son retour d'Italie et sera bientost à Paris.
Bovenaan de brief schreef Grotius: Suisses, Grisons, Parme.
En in dorso: 12 Febr. 1643 Marin.