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Monsieur,
Vous aurrez sceu comme n'ayant peu advancer selon mon intention vers le haut du Rin pour avoir eu les armées de Bavieres et du duc Charles opposées aux passages quy sont tres difficilles, je me suis tourné vers le Ne[c]ker,2 où lesdicts armées estant aussytost venues et m'y estant trouvé sans moyen de pouvoir subsister, les bleds n'estant point encorre murs à la campagne et n'estant point praticable de forcer une ville à la veue d'une armée de beaucoup plus forte que celle quy attacque, j'ay esté contraint de descendre le Schwa[r]tzwalt3 et de chercher à prendre un poste sur le Rhin, mais comme depuis Strasbourg touttes les places y sont occuppées en descendant par les ennemys et qu'il falloit par consequent se loger entre elles, il estoit à propos avant que de s'y advancer avecq toutte l'armée de recognoistre la comodité ou incomodité des lieux où l'on se pourroit loger. Et pour cela je pris une grande partye avecque moy et y marchay, mais desja toutte l'armée de l'ennemy quy avoit descendu par Fortzeim estoit entre Ettinghen et Kupenhein4 et Jean de Wert avecq deux mille chevaux et nombre de dragons s'estoit saysy du poste de Rastat que j'avois intention de prendre après l'avoir recognu. Ainsy je fus contraint de me camper entre Offembourg et Strasbourg, où j'ay demeuré tant que j'y ay peu avoir du fourage, et comme il m'y a manqué et que la mortalité quy est depuis trois mois sur les chevaux de cette armée en sorte que plus d'un tiers de la cavallerye est demonté et la moityé des chariots abbandonnée, continue de plus en plus, que l'infanterye devient malade extraordinairement, je me suis resolu de faire bastir un pont sur le Rhin deux heures plus bas que celluy que feu monsieur le duc de Weymar avoit eu à Reinau5 et me suis logé dans les mesmes quartiers quy avoient aussy esté occuppez en ce temps-là et d'où tous les grains ont desja esté emportez dans les villes et forteresses en sorte qu'il ne me sera pas possible, nonobstant que je fasse donner le pain de munition à l'infanterye, de m'arrester icy plus de quinze jours, et nonobstant, comme j'en ay esté cinq avant que de pouvoir passer avec l'armée par le manquement de batteaux, que les advis venoient à toutte heure que jusques au foing et à la paille tout se refugioit dans les forteresses, j'ay esté contraint, sy je n'ay voulu voir tomber l'armée en quelque grand malheur par la necessité, de faire passer les quartiers-mestres avecq quelques reitres demontés pour servir de sauvegardes.
Sur quoy monsieur Mockel6 s'estant emporté à m'escrire une lettre que je ne trouve
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pas trop bien convenable, et à me l'envoyer par un tambour, j'[ay] jugé plus à propos de vous en envoyer une coppie que de m'arrester à luy respondre que je ne croy pas que la royne de Suede et tout son conseil, sçachant bien ce que c'est que la necessité quy n'a point de loy et combien il importe de conserver les armées, n'aurront pas grand ressentiment d'un peu de paille et de foing quy aurra esté consommé dans les villages de la contribution d'une place occuppée par leurs armes, et qu'estant informez comme c'est la verité mesme que cette armée est logée tant sur quelques villages de Strasbourg, Tarsteim, Zaber, Basse-Alsace que de Benfelt,7 et les mesmes quy ont desja par cy-devant esté occuppés par cette mesme armée du temps de monsieur le duc de Weymar, qu'ils n'en prendront aucune meffiance, ny jalouzie, non plus pour le present que pour l'advenir, mais au contraire qu'ils en feront de mesme, comme ils ont faict lorsque par la raison de guerre nous avons esté obligez de loger, non dans les villages mais dans les villes de leurs quartiers, tant en Westphalie que Turinge, Misnie et autres lieux. Mais c'est ce que la crainte de n'avoir pas assez de proffit de reste n'avoit pas permis audict sieur Mockel de comprendre et pourquoy aussy je ne le luy ay pas voulu representer et particullierement ayant appris qu'en mesme temps qu'il m'escrivoit cette lettre il envoyoit un officier de la garnizon de Benfelt8 avecq cavallerye et infanterye chasser par force les quartiers-mestres des quartiers quy leur avoient esté assignez, ce que je ne croy pas quy puisse non plus que tout le reste de son proceddé estre approuvé, ensuicte duquel j'ay jugé raisonnable de vous informer.9A Ersteim, le 2e Septembre 1643.
Bovenaan de copie staat: M. le mareschal à m. Grotius, ambassadeur en Suede, le 2 Sept. 43.
En in dorso: Coppie d'une lettre de monseigneur à m. Grotius, ambassadeur de Suede, du 2e Septembre 1643.
F.R. Mockhel aan J.-B. de Budes, graaf van Guébriant, 28 augustus 1643.
Monsieur,
Suivant les asseurances qu'il a pleu à vostre Excellence donner à nos deputez du respect qu'elle porte à sa Majesté la royne de Suede et de l'affection que vostre Exc. a pour le bien et la conservation de ce qui luy appartient en ceste province, nous n'aurions pas creu que ce que nous experimentons à present se peut jamais commettre. Car depuis que nonobstant nos tres humbles prieres et remonstrances le pont a esté mis justement au lieu le plus prejudiciable à sa Majesté et la couronne de Suede qui se peut choisir tout le long du Rhin, les quartier-maistres sont venus suyvis d'une multitude d'autres gens courrir et piller tout ce qui depend de Benfeld et le distribuer entre eulx, point autrement que s'ils estoient entrez en pays ennemys. Et mesme je peux asseurer vostre Exc. que depuis ce pays d'Alsace a esté acquis par les victorieuses armes de la couronne de Suede aucun ennemy n'a plus osé entreprendre autant sur cest estat qu'il faut que nous supportions maintenant avec patience, voyants que l'on y pretend l'authorité du nom et des ordres de vostre Exc. Car selon la liste que les quartier-maistres en monstrent et ce que l'on voit executer par la voye du fait, il ne reste plus une seule grange icy proche qui peut fournir aux necessitez de ceste garnison, mais au contraire ceux qui voudroyent emmener
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encore quelcque nourriture en sont empeschez par force tellement que voyla Benfeld reduit tout d'un coup en terme pire que blocqué.Or, monsieur, les promesses qu'il a pleu à sa Majesté tres chrestienne donner tout fraischement à sadite Majesté de Suede,10 non seulement en general pour la confirmation et observation punctuelle de l'alliance qui est entre eulx mais aussy particulierement pour la seurté et desdommagement de cest estat de Benfeld, portants tout justement le contraire de ce qui se fait maintenant, je donne à juger à vostre Exc. si elle pense qu'il est possible que cela se passe sans un juste resentiment? Et cela n'estant point, si vostre Exc. peut croyre que ce temps icy où l'on doit travailler conjoinctement pour la paix commune est propre pour mettre la moindre meffiance entre les deux couronnes? Pour moy, je tasche d'y obvier en mon petit endroit autant qu'il m'est possibie et supplie à vostre Exc. en toutte humilité qu'il luy plaise mettre tel ordre dans son armée que la royne de Suede puisse iouyr sinon d'autant d'immunité qu'une princesse souveraine et tres estroitement alliée à la couronne de France merite, au moins autant que d'autres particuliers qui possedent maintenant des terres en Alsace en ont pour eulx, et que nos ennemys mesmes, remarquants que la distribution des quartiers s'est fait à desseing sur tous les villages de la contribution de Benfeld, n'en tirent des consequences de quelque jalousie ou d'autre mesintelligence entre les deux nations et taschent d'en former leurs advantages sinon dès maintenant, au moins pour cy-après au grand prejudice de la cause commune.
Ma charge et le devoir de ma fidelité m'obligeants de representer à vostre Exc. tout ce que dessus et de la supplier de la sorte, j'espere de sa bonté qu'elle le prendra à gré et qu'elle se contentera plustost de l'offre qu'avons fait faire d'assister son armée d'une quantité de grains que de nous voir avec le temps inutils au service de l'une et de l'autre couronne.
Avec tout cela je proteste devant Dieu et tout le monde que je suis sans aucune feintise, monsieur,
de vostre Exc. le plus humble et tres obeissant serviteur,
F. Mockhel m.p.
Benfeld, ce 18/28 d'Aougst 1643.
Monsieur, les chemins estans si mal seurs que personne ne peut plus passer à cheval, j'ay esté contraint de despecher ce tambour, esperant que vostre Exc. ne le prendra point en mauvaise part.
Adres: A son Excellence monsieur/monsieur le comte de Guebriant, mareschal de France, lieutenant-general de l'armée de sa Majesté tres chrestienne en Allemagne.