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Monsieur,
Bien qu'il ne se puisse faire un bon conte de la disgrace qui nous est arrivée à Dutlinguen,2 si n'ay-je peu m'empecher de vous en envoyer ce recit,3 afin que qu'incertain sur les rapports differens qu'on vous en fera, vous ayez sur quoy vous asseurer comme chose toute conforme à la verité. Le peu de liberté qu'on m'a laissé jusques icy a esté cause que je ne vous aye escrit plustost. Maintenant que je me voy un peu eslargy par l'intercession d'un honeste homme qui est professeur en cette université,4 j'ay epié l'occasion pour vous faire sçavoir de mes nouvelles. J'ay trouvé un amy qui travaille pour le recouvrement de ma liberté et me fait esperer qu'il en pourra venir à bout dans quelques jours, nonobstant la defence que le duc de Baviere a faite à ses generaulx de ne laisser sortir qui que ce soit. Je croy que la rançon5 montera à peu de chose, n'estant cognu icy que pour lieutenant, de sorte, monsieur, que j'espere qu'il ne sera pas necessaire que vous soyez en peine de me retirer d'icy. Mais comme par la mort de monseigneur le marechal de Guebriant,6 à qui je servoy comme ayde de camp, et par la prison de monsieur le marquis de Montausier,7 soubs qui j'eusse peu servir si ce malheur ne fut arrivé, je me voy privé de marechal de camp soubs qui servir, je vous supplie tres humblement d'avoir soing de moy, afin qu'en sortant de prison je puisse sçavoir où et soubs qui j'auray à servir. Si je pouvoy trouver une place aupres du general qui doibt venir commander l'armée - comme je ne doubte pas qu'il n'en vienne un de France -, je trouveray tousjours plus de satisfaction à servir en Allemagne dans un[e] armée, où sept ans de service me doivent avoir acquis la cognoissance des principaux officier[s], que non pas de servir en France, où je courray risque de changer de campagne en campagne de general.
Après la perte que j'ay faite en la mort de monseigneur le marechal celle de mon equipage m'est extrem[em]ent sensible, n'ayant sauvé pour tout qu'un mechant habit que j'avoy sur moy, de sorte que je prevoy que je ne pourray estre en estat de servir à la campagne prochaine si par vostre intercession je ne suis assisté de la court pour avoir de quoy me remettre de ma perte qui se monte à prèz de quatre mille francs. Au moins qu'il[s] me payent ce qui m'e[s]t deu legitimement, s'ils ne me veulent recompenser de ce que j'ay perdu au service du roy. C'est de quoy je vous supplie, monsieur, d'avoir quelque soing.
Je voy ces gens icy abbatus plus que de coustume et presume par toutes leur[s] contenances qu'il est passé quelque chose à leur desavantage entre les armées de monsieur de Torstenson et Gallas.8 On ne nous en dit que ce qu'on veut que nous sçachions.
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S'il vous plaist me faire l'honneur de m'escrire, je vous prieray d'adresser mes lettres à monsieur de Trassy,9 entre les mains de qui je trouveray vos lettres après estre sorty d'icy.
Je suis, monsieur, vostre tres humble et tres obeissant fils,
D. de Groot.
A Tubingen, ce 10/20me Decembre 1643.
Je viens d'apprendre des nouvelles toutes contraires à celles-cy. On vient de me mander que je me tienne prest pour partir d'icy tout à l'heure. Je ne sçay où on me veut envoyer, mais je suis du tout decheu de l'esperance que j'avoy de sortir de prison. Je croy qu'ayant appris que je suis autre que lieutenant, ils veullent aussy rehausser la rançon. On me dit que je suis donné au lieutenant-colonel du regiment de Mercy.10
In dorso schreef Grotius: 20 de Dec. 1643 D. de Groot.
Relation de ce qui s'est passé à l'armée du roy en Allemagne jusqu'à sa desroute.
Le marechal de Guebriant ayant passé le Rhin sur son pont de batteaux12 avec ses vieilles trouppes et le secour qu'on luy avoit donné sous la conduitte du comte de Rantzau, il fit prendre du pain à toute l'armée pour dix jours, prit le chemin de la vallée de Kintzingen avec les trouppes et fit prendre à l'artillerie et au bagage celuy [de] Fribourg et de Sainct-Pierre pour la venire rejoindre à Rotweil, où il arriva en cinq jours.13 Après on delibera si on n'attaqueroit cette place et les advis furent different: le marquis de Montauzier, le sieur de Roque-Serviere et le collonel Hom14 n'estoyent pas d'opinion d'entreprendre ce siege, disans que la saison estoit mauvaise, que nos soldats, prinsipalement les nouveaux, se dissiperoyent, que les Bavarois espouvantez auroyent loysir de reprendre leurs esprits et de joindre à eux les Laurrains et peut-estre Hatzfeldt encore, qu'on disoit marcher vers eux;15 qu'ainsy nous aurions trois armées sur les bras qui en feroyent une beaucoup plus puissante que la nostre, ce qui nous enpaicheroit de pouvoir prendre nos quartiers, au lieu que sy nous nous advancions davantage en nous saysisant de quelques petites villes peu fortes, mais pleines de vivres, nous donnerions un tel ombrage à l'armée de Baviere que sans attendre davantage les deux autres elle s'en iroit en toute deligence passer le Danube pour couvrir son propre pais. Le marechal de Guebrian au contraire et le comte de Rantzau [estoyent] d'advis de l'attaquer, parce que n'ayant aucune place deça la Foredtz
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Noire pour nous servire de retraitte en cas de besoin, de magazin pour avoir du pain et des munitions de guerre, et de lieu pour mettre nos blessez, nos malades, nos bagages et mesme nostre canon quand l'occasion le requerroit, il estoit tres necessaire de prendre cette place. Ils representoi[en]t que Brisac estoit loin et les chemins si mauvaix que tout ce qu'on y pouvoit prendre de vivres estoit consommé en arrivant en ces quartiers et par consequant qu'on [n']estoit pas en estat de rien entreprendre. De plus, nostre canon et nostre bagage ne devoi[en]t arriver de quelques jours et nous ne pouvions pas nous en esloigner davantage de peur que les ennemis ne se missent entre nous et luy, de sorte qu'ils jugeoyent à propos d'employer plustost ce temps-là à l'attaque de Rottwil qu'à ne rien faire, disant que la place n'estant pas fort bonne, les habitants plus forts que leur garnison auroyent peur d'estre maltraicttez s'ils attendoyent l'extremité et que cela ‹on fit quatre› peut-estre les obligeroit à se rendre.Il fut donc conclu de s'attacher à ce siege et les ordres donnez pour cela. On fit quatre attaques dont le marechal de Guebriant laissa le choix au comte de Rantzau, qui en prit deux, dont l'une estoit conduitte par le marquis de Noirmoutier et l'autre par le marquis de Maugiron.16 Des deux du marechal de Guebriant l'une fut conduitte par le marquis de Montauzier, où estoyent les regiments fransois, et l'autre par le general-major Schenbek, où estoyent les Allemans. Schenbek17 tombant malade, son attaque fut abandonnée et celle de Maugiron pour des difficultez qui s'y trouverent le fut aussy. Le marquis de Noirmoutier avança fort la sienne et essaya plusieurs fois d'attacher les mineurs à la place, mais les ennemis en tuerent plusieurs, ce qui le retarda. Cependant Montauzier, ayant conduit son trava[i]l sur la contrescarpe, il se rendit maistre du fossé qu'il ouvroit par un fourneau, et ensuitte faysant battre en breche il en fit une et prepara toutes choses pour l'assaut, ce que voyant ceux de dedans ils se rendirent à composition.
On se rendit ainsy maistre de la place, mais elle couta bien cher, car outre les soldats et les officiers qui furent tuez ou blessez à ce siege en grand nombre, le general-major Rose se laissa enlever auprez de Palinhen18 avec trois des meilleurs regimens de cavallerie que nous eussions; la plus grande partye de l'infanterie du comte de Rantzau se dissipa de faim et de froid et pour comble de malheur deux jours avant que nous entrassions dans la ville le marechal de Guebriant, qui seul estoit plus considerable que la moitié de l'armée, eut le bras droit emporté d'un coup de canon, dont il est mort depuis.
Ce malheur a causé tous ceux qui sont ensuitte arrivez à l'armée, car dès lors on n'eut plus de dessein qui ne fust changé à chaque moment. Tous les officiers, generaux et mesme les particuliers eurent chacun une opinion differente. On tomba pourtant d'accord de partire d'auprez de Rotwill et d'aller se rafraichire quelques jours vers la sourse du Danube. On partit donc pour cela, mais on disputa fort pour les logements. Car le marquis de Montauzier et le colonnel Hom estoyent d'advis qu'on allast vers Stelingue, Plomberg et Furstenberg,19 où les ennemis n'eussent sceu venir à nous que tres difficillement et où nous eussions peu estre logez les uns prèz des autres et tirer du pain de la Suisse, que nous eussions eue proche de nous, sans qu'on nous eust pu coupper les chemins. Le comte de Rantzau et le general-major Rose voulurent qu'on fit le quartier general et celuy de l'artillerie à Dutlinguen sur le Danube, disant que c'estoit trop relacher et que les ennemis en tireroyent vanité. Le marquis de Noirmoutier estoit malade depuis trois jours, ce qui l'empeschoit d'assister aux resolutions et le comte de Maugiron et le baron
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de Sirot20 n'opinoyent pas contre leur general. Tupatel estoit demeuré malade à Rotweil aussi bien que le sieur de Roque-Servier pour la blessure qu'il avoit receu au siege, de sorte qu'en leur absence l'autorité du comte de Rantzau prevalut.Le quartier general et celuy de l'artillerie furent donc faicts à Dutlinguen avec les quatre compagnies des gardes et le regiment de Klouk,21 qui faysoyent ensemble cinq cens hommes. Rose se logea à Mulhen, petite ville sur le Danube, en descendant avec six regiments de cavallerie et des dragons. Il avoit encore deux autres regiments de cavallerie aupres de luy dans un village et trois d'infanterie à un quart d'heur derriere luy. Cela faysoit l'advangarde; le reste de l'armée estoit logé plus haut vers la sourse de la riviere à Meringhen, Geisinghen22 et autres lieux. Rose se chargea d'envoyer deux escadrons de cavallerie pour la garde du quartier general et n'y envoya pas seulement un homme. Il estoit sur l'avenue des ennemis et commandoit toute la cavallerie.23 Cependant les ennemis vinrent de Balinghen à Simeringhen sans qu'il nous en donnast le moindre advis. Ils passerent le Danube avec toute l'armée, logerent à Meskirk et puis marcherent, cavallerie et infanterie, droit à nous, laissant le quartier de Rose à demye-heure sur la main droitte sans trouver une seule de ses parties et sans qu'il nous aye donné le moindre advis d'eux. Il est à croire qu'un vieux soldat et un officier comme luy, qui a tant faict de bonnes actions, a donné de bons ordres, mais ils ont esté sy mal executez que toute l'armée ennemie a esté en parc de nostre canon, qui estoit devant une des portes du quartier general, devant qu'on sceust seulement qu'elle eust passé le Danube, et [à] la premiere alla[r]me que nous eusmes nous vismes nostre canon entre les mains des ennemis, qui pointerent aussitot contre nous.
On voulut incontinent faire sortire des gens pour aller donner advis aux trouppes, mais ils furent tous repoussez dans la ville, laquelle estoit fermée à la verité, mais il y avoit plus de trente breches à la muraille, par quelqu'une desquelles on pouvoit mesmes entrer à cheval. Une partie de l'enceinte estoit composée de maysons et l'autre estoit tres basse sans chemin ny lieu où l'on peust estre dessus. Le pis estoit pourtant qu'on n'avoit point du tout de poudre, le parc estant hors de la ville, comme il a tousjours accoutumé d'estre de peur du feu. Ceux des soldats qui se trouverent en avoir un peu dans leurs bandeliers tirerent quelques coups et nous donnerent moyen de faire bonne mine. On nous fit sommer, mais nous repondismes que nous n'estions pas en estat de traictter. Cependant nous essayons de gagner temps pour donner moyen à toute l'armée de venire à nostre secours, mais ce fut vainement, car à ce qui nous a paru, aucun n'a faict d'effort pour cela et chacun a pourveu à sa seureté comme il a peu. Nous ne savons quoy que ce soit d'eux, car on nous dit tant de menteries que nous ne pouvons adjouter foy à rien qu'on nous die.
Pour ce qui regarde le quartier general, estant investy de tous costez par toute l'armée, la nuit estant à demy passée et n'entendans rien de nostre armée, cela nous fit juger qu'elle avoit pris une autre route. On s'assembla pour aviser à ce qu'il y avoit à faire. Tout le monde temoigna avoir assés de coeur pour mourir glorieusement, mais les moyens leur en estoyent ostez par les raysons que j'ay dittez. N'ayant donc pas de quoy se deffendre, on trouva bon d'un commun accord d'entendre aux propositions que les ennemis nous faysoyent de se rendre. On traictta donc avec eux; les generaux Hatsfeld et Mersy nous promirent beaucoup de choses, mais le lendemain les ennemis entrans peu à peu de tous costez, le duc de Lorraine se mocqua de leurs promesses et nous fusmes assez maltraittez.
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On nous a amenez icy, où nous ne savons rien de ce qui est arrivé au reste de nostre armée, sinon que peu de trouppes hormis l'infanterie du comte de Rantzau a eu eschec.Faict à Tubingue, le premier Decembre 1643.
Articles accordez aux officiers generaux et particuliers, de quelle qualité et nation qui puissent estre, qui sont à present assiegez dans la ville de Dutlingen, et aux soldats qui sont dans ladicte ville et soubz leurs commandants, par son Altesse.
Premierement que tous les officiers tant generaux qu'autres seront traictés comme prisonniers de guerre avec toute sorte de civilité et seront conduictz jusque au lieu qui leur sera destiné avec toute sorte de commodité et civilité, et sera laissé à tous lesdicts generaux et colonelz leurs monteurs; et quant à l'accord pretendu avec le sieur marechal de camp Mersy il n'y se peut pretendre autre advantage que celluy qui est accordé entre le general Galas et Torstenson.
Que pour quel pretexte que ce soit ne sera maltraicté aucun officier.
Que tous les officiers de l'artillerie tant Fransois qu'Allemans et les soldats et officiers du regiment du colonel Clouc puissent jouir des privileges cy-dessus mentionnés et ce qui est accordé aux autres sans contredicts.
Sadicte Altesse pour respects particuliers aux officiers de la garde du roy tres chrestien leur permet de sortir en payant leur ranson selon qu'il sera convenu particulierement.
Qu'aucuns soldats de quelle qualité et nation qu'ilz puissent estre ne seront contraincts de prendre party sinon ceux qu'ilz trouveront avoir servy ce party, et tous autres seront relachez en payant le quartier accordé.
Que toutes les femmes des officiers tant en carosse qu'à cheval et à pied ne seront pillées ny fouillées avec bonne et seure escorte dans la ville de Schaffouchen.
Que à la sortie les susdits officiers generaux et particuliers, soldats, femmes, enfans, carosses et equippages se mettent en bonne ordre au dehors et au dedans de ladicte ville à leur seurté avec bonne et seure escorte pour empaicher toutes sortes de desordre; que toutes les armes tant de cavallerie que d'infanterie avec les estandars et enseignes et la char... du roy tres chrestien en son entier comme aussy tout l'argent qui se trouvera ez mains des tresoriers generaux ou leurs commis[saires] remetteront de bonne foy entre les mains des sieurs commissaires generaux.
Signé: Ch. Lorraine, Rantzau, lieutenant-general, Montozier et Maugiron, marechaux de camp, et pour secretaire Raulin.