Monsieur,
J'apprend[s] mal volontiers par vos lettres du 22 et 29 du passé qu'on procede si lentement en France aux levées,2 qu'en ceste conjoncture d'affaires on devroit renforcer pour empecher que le roy de Denemarc ne puisse estre secouru par l'empereur, qui le veut assister, comme aussy les Poulonois et le Moscovite.3 Je me doubte que cela ne se face à desseing pour temperer les progrez des Suedois qu'ils font de tous costés admirables. Je vous asseure que les Bavariens seront forts de 20 mille combattans,4 là où le mareschal de La Tourraine est bien loing de ce nombre. On commence à jetter des bombes dans Uberlinghen, qui tient tousjours bon, et celuy qui y a introduit un peu des vivres5 a esté pris par ceux de Costance dans une barque où il estoit desguisé, mais recognu et mené en prison, d'où il ne sortira sans estre pendu. C'est un Suisse protestant de la Turgovie et sa prison donne de l'ombrage à ceste ville. Les deputez protestans destinés à la diete des Grisons y passeront ceste sepmaine, de mesme feront les Suisses cattoliques pour assopir le feu qui commence à se rallumer es Grisons6 à cause de ces trois temples repris par les protestans à main forte pour y faire prescher à leur mode, ce que les cattoliques veulent empecher par les armes et prendre à leur aide de secours estrangers qui acheveront de ruiner les uns et les autres.
On ne craint trop le prince Thomas à Milan, croyant que les François ne seront capables de faire beaucoup ceste année en Italie7 s'ils ne se renforceront des trouppes du pape,8 dont la paix avec la ligue est finalement conclue et à Venise souscrite,9 n'y man-
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quant que la ratification du pape et de la France; quoy fait on la publiera et executera par après, les conditions y comprises. Sed multa adhuc cadere possunt inter labra et calicem.10 L'Espagnol tache d'avoir les trouppes que le gran[d]-duc et celuy de Modene licentieront, la France celles du pape et l'empereur celles de Venise en les employant contre Rakozy,11 et pour les y attirer on leur offre la vente de Gradisco.12Je ne reçois pas encore d'argent et voudrois bien qu'on m'en assistast bientost,13 car autrement il me faut partir d'icy honteusement, mes creanciers faisant de gran[des] difficultés de m'en fournir plus, mais payer de ce que je dois, et c'est à cause d'une disgrace qu'ils ont eu à Venise et Saint-Gall, où leurs facteurs ont failly pour plus de cent mille florins.14 Nulla calamitas sola.
Dieu me console et vous conserve dans sa sainte garde, moy demeurant, monsieur,
vostre serviteur tres humble,
C. Marin m.p.
De Zurig, ce 4 d'Avril l'an 1644.
Bovenaan de brief schreef Grotius: Rec. 28 April.
En in dorso: 4 April 1644 Marin.