Monsieur,
Nous attendrons l'arrivée de Torstenson2 à l'armée suedoise et la bonne issue du siege de Wolfenbuttel.3 J'apprends aussi fort volontiers que les trouppes de madame de Hessen sont en bon estat et que le prince d'Orange les appuye.
Je croi certes que tant l'empereur que le roi d'Espagne ne manqueront de fomenter le mal de Sedan, qui leur peut servir grandement, quand ce ne seroit que pour empescher les progres de la France en cette année. Il y a eu quelque pourparler avecq le duc de Bouillon,4 mais sans effect jusqu'asteure, tellement que le marescal de Chastillon5 a receu des ordres de faire toutes hostilitez contre Sedan, où le duc de Guise6 est revenu avecq quatre compagnies. Lamboi,7 avecq cinq ou six mille hommes estant venu à Arlon, et le duc de Lor-
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raine,8 differant soubs de pretextes frivoles de se joindre au marescal de Chastillon, ledit marechal, craignant d'estre environné de deux costez et se desfiant du duc de Lorraine, a passé la Meuse et est à Tarsy,9 ayants laissé les forteresses qu'il avoit commencé deça la Meuse garnies de gens. Il y en a qui croient que le duc de Lorraine, ayant par l'argent du roi remis son armée en bon estat et se voyant maistre de La Motte10 et de quelques autres places que le roi luy a rendues, tasche à se mettre en neutralité, ou mesmes escou‹p›te les offres qui lui sont faictes de la part de l'empereur. Ces soupçons ont eu tant de pouvoir sur l'esprit du roi que sa Majesté a faict retenir l'argent qui estoit destiné pour l'entretenement de l'armée dudict duc, qui revient à deux mille gens de pied et autant de chevaux.Le duc de Longueville11 a de la peine à trouver ses gens qu'il devoit mener en Allemagne. Les Suisses s'assemblent à Bade,12 où l'empereur leur fera faire des ouvertures pour la paix de l'Empire. Les Grisons, voyants que la France n'a nul soing d'eux, ont defendu à Guller13 de faire sortir les gens qu'il avoit levé pour la France et tiendront une conference avecq les deputez de Tirol pour adjuster leur differents.14
Le cardinal-infant15 est avecq quelque dix-huict mille hommes à Moncassel et La Bassée;16 a voulu attaquer le camp devant Aire, mais sans effect. Les Fransois battent la ville avecq dix-huict pieces de canon, y jettent de bombes, ont passé le contrescharpe d'une demie lune et pris Pont d'Avantin.17 Une partie des Espagnols se sont jettez au pays autour de Boulogne et font mine de vouloir assieger cette ville.
En Italie rien ne se faict et peu au Roussillon. Le marquis de Breszé18 est allé à La Rochelle, là où on a assemblé vingt navires pour secourir les Portugais, qui en ont grand affaire. Le marescal de Breszé19 avant que d'aller en Catelagne veut attendre des meilleures nouvelles, celles d'à present n'estant gueres bonnes, car on dict que non seulement ceux de Tarragona, où il y a une petite armée, ont faict de sorties qui ont fort endommagé les Fransois, mais qu'aussi Fernandino,20 estant renforcé de vingt tant galeons que galeres, a eu de l'advantage sur l'archevesque de Bourdeaux;21 et doubte-on si le siege pourra subsister et si les Catelans qui sont sans garnison françoise ne se rendront à l'obeissance premiere, n'ayant rien gagné par l'eschange.
Comme je desire de tout mon coeur toute sorte de bien pour la maison palatine, ainsi ne me puis-je imaginer que le duc de Baviere22 veuille relascher prise s'il ne voit de resolutions vigoureuses prises par le parlement d'Angleterre sur ce faict. Pour le moins gagne-
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ra[-t-]il cette année. Interim aliquid fiet.23 Je croi que l'empereur donnera fort volontiers aux Estats le titre de Tres illustres, desquels je croi que les senateurs de Venise se contentent. Je suis fort desireux de sçavoir quelles ouvertures l'empereur voudra faire de paix ou de tresve avecq l'Espagnol.24 Tout le monde croit icy qu'en Portugal il y a dissension, peu d'argent, peu de gens de guerre. Je croi que les Suedois ont bien faict de ne se mesler pas de la composition que veulent faire les Hollandois avecq les Danois.25 L'electeur de Brandenburg26 a raison de desirer la neutralité, mais je ne voi pas comment il y pourra parvenir; et peut-estre feroit-il mieux de travailler à la paix ou generale ou entre l'Empire et la Suede.Je demeure, monsieur,
vostre serviteur tres humble,
H. de Groot.
A Paris, le 29 de Juing 1641.
La sedition de paysans autour de Bern continue. Les cantons protestans assemblez à Aro27 et l'ambassadeur de France28 travaillent à les appaiser. L'exemple est de mauvaise consequence. Le cardinal-infant est à present à Terouane. Le roi va à Reims. Les soubçons contre le duc de Lorraine s'augmentent. Les Fransois ont pris au pays de Lutsenburg les chasteaux de Florenville et de Cheny et le fort de Vulliers,29 un autre fort guere loing d'Arras nommé Ecluse.30
Adres: A monsieur /monsieur de Vicquefort, resident pour madame de Hessen, à present à Amsterdam. Port.
In dorso schreef Wicquefort: [Rec.] 7 Juillet 1641 M. l'ambas. Grotius.