Monsieur,
J'ay bien receu la vostre du 24 de ce mois,2 et seray bien aise que la bonne volonté que vous descouvrez pour les alliez en France soit durable et que l'on puisse bientost remettre l'armée vinarienne, qui despuis quelque temps en ça a eu des gran[ds] malheurs. Rotvil est assiegé par Jean de Vert,3 qui doit avoir dit qu'il mourra fort volontiers après qu'il a eu ce contentement de se laver les mains dans le sang des François, dont nouvellement tous ceux qui se sont retirés dans Meringen4 ont esté fait prisonniers. Dieu veuille que ce mauvais coup n'empeche point le traitté de paix generale, car j'entend[s] de bonne part que l'empereur n'y veut point entendre serieusement qu'il n'ait eu quelque notable advantage sur les deux couronnes alliées, l'ayant desja emporté sur la France si advantageusement que ceste surprise de Tutlinghen se peut esgaler quant à la perte à la bataille de Rocroy,5 et quant aux chefs elle est plus grande, y ayant environ deux cent officiers prisonniers.
En Italie tout se retire aux quartiers d'hyver et le cardinal Bichi6 travaille tousjours pour la paix entre le pape et les ligués, y ayant grande apparence qu'après son retour de Florence on conviendra dans peu de jours de quelque lieu dans les estats de Mantoue pour l'assemblée des plenipotentiaires, qui y sont portés à bon escient à cause de tant de difficultez qui se trouvent en tous pour la continuation de la guerre, le pape, qui s'est defendu mieux qu'on ne pensoit, estant par tant de pertes espuisé d'hommes et d'argent sans avoir moyen d'en pouvoir bientost recouvrer, et la Republique de Venise trouvant aussy beaucoup d'empechement en ses levées, qui vont fort lentement, aussy bien que la liberté de passage, qui par la Suisse et les Grisons n'est pas encor accordé. Les ducs de Parme et Modene sont si pauvres et ruinez que c'est à eux plustost à solliciter qu'à contredire la paix, que le gran[d]-duc ne refusera pourveu qu'elle soit advantageuse, aimant de l'avoir tandis que la fortune luy est favorable que de s'engager à des nouvelles despences sans estre assuré de la continuation de son bonheur. J'y voys donc toute bonne apparence,
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mais je crain[s] que l'ambition des Barbarins,7 qui voudroyent faire un pape à sa mode, ne la renverse tout à fait. Aussy ne font-ils autre chose que de se pourvoir d'argent et des nouvelles levées partout. Le pape se sent un peu touché d'apoplexie, mais il revint tousjours chez soy et espere de vivre longtemps, faisant estat de faire des nouveaux cardinaux pour trouver de l'argent sans en prendre du thresor de Saint-Ange. On tient le frere naturel8 du prince Thomas, qui est encor malade,9 pour mort.Vous avez beau dire que j'aye à cercher mon assistance chés messieurs Salvius et Ochsenstirn, qui ont à cest'heur d'autres affaires entre les mains, mais vous le meilleur moyen de m'aider en ma necessité et si j'en avois autant je ne le refuserois à un ministre d'un mesme maistre. Mais je reccommande tout à Dieu, qui m'aidera à son temps, et pour cela je ne lairray pas de servir monsieur vostre fils10 et demeurer, monsieur,
vostre serviteur tres humble,
C. Marin m.p.
De Zurig, ce 30 de Novembre l'an 1643.
Je vous supplie de me mander quelle responce avez receu sur ce qu'avez escrit en ma faveur à monsieur le baron Ochsenstirn, car pour moy je n'en ay point.11
Bovenaan de brief schreef Grotius: Rec. 28 [Dec.]
En in dorso: 30 Nov. 1643 Marin.