Monsieur,
Vous m'oblige[z] fort de m'informer de ce qui se passe avec le roy de Denemarc, mais les jugemens divers qu'on en fait meritent d'en avoir un manifeste2 pour desabuser ceux qui en croyent autrement. Les ministres de France qui sont en Italie3 me prient de leur en mander une particuliere information, mais si vous ne m'en instruise[z] pleinement, je ne sçay d'où en prendre, puisque monsieur le baron Ochsenstirn ne m'escrit depuis un long temps.4 Je souhaitte qu'on accommode cest affaire bientost, car autrement l'Austriche en profitera grandement.
Mercy continue à bloquer Uberlinghen, qu'on tient pourveu des vivres jusques au dernier d'Avril qui vient, mais Jan de Vert se tient avec le gros de la cavallerie à Tutlin-
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ghen et fait des courses jusques à Hohetvil, empechant qu'on n'y jette plus des vivres comme aussy dans Uberlinghen,5 ayant menacé à ceux de Schafusen de brusler leur[s] villages s'ils continueront à en fournir aux ennemis de la maison d'Austriche. Et parce que la meffiance s'augmente entre les Petis Cantons et les protestans, ceux-cy se tiennent sur leur[s] gardes, estans tous perplex de ce qui en arrivera. Ceux d'Ury se monstrent plus français qu'aucun autre des cantons cattoliques, et pour cela dans la derniere diete tenue à Brun6 ils ont esté forclos de la seance par les autres, qui continuent à monstrer de la passion pour la maison d'Austriche, ayans chastié quelque[s] capitaines qui ont servi au siege de Thiunville.7La paix en Italie n'est pas encores faite, mais on y travaille à bon escient à Venise, où le cardinal Bichi8 est encore avec les ducs de Modene et Parme pour travailler à ceste paix avec le pape, et on en espereroit bonne issue, si sa maladie n'en causoit le retardement. Quelques-uns escrivent qu'il se porte mieux,9 d'autres asseurent qu'on la cache et qu'il n'y a que 7 à 8 personnes au plus qui en sçachent la verité et qui sont obligés d'en garder le secret soubs peine d'excommunication. Dans peu nous verrons ce qu'en sera.
Cependant je languis icy, ne sçachant de quel bois faire la fleche.10 Je me patienteray jusques au mois d'Avril prochain et si entre cy et là je ne suis pas assisté d'argent ny contremandé d'aller à Benfeld11 il faut que je parte d'icy honteusement en Suede pour y solliciter mes payemens. Ex duobus malis minus mihi eligendum, et honesta mea dimissio omnino quaerenda erit. Dieu m'est tesmoing que je ne puis disposer personne à me fournir plus d'argent, la despence en ceste residance estant trop grande pour moy: oultre l'extraordinaire ayant dix personnes sur moy.
Je demeure, monsieur,
vostre serviteur tres humble,
C. Marin m.p.
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De Zurig, ce 2 de Febvrier l'an 1644.
Les Grisons ont accordé le passage aux Venetiens12 moyennant 18 mille florins pour un an, mais celuy par la Suisse devient tousjours plus difficille à cause du clergé qui s'y oppose.
Le residant de Venise13 a esté deux fois à Suiz pour procurer le passage moyennant l'argent qu'on [a] offert en grande quantité, mais le nonce s'y oppose si vertement qu'on est quasi hors d'esperance de l'avoir sitost.
Bovenaan de brief schreef Grotius: Rec. 24 Febr.
En in dorso: 2 Febr. 1644 Marin.