Monsieur,
Vous dites fort bien dans vostre lettre du 16 de ce mois2 que tant la France que le party contraire esperent de mettre en campagne de puissantes armées, mais je crain[s] que l'un et l'autre ne trouveront pas son comte au nombre, moins en la qualité des gens, parce qu'on trouve partout faute d'infanterie bonne, et pour moy je crain[s] que nos François en Alsace en patiront, puisque les Suisses ne veulent point servir en Allemagne contre la maison d'Austriche,3 qui a bien des gran[ds] desseings de rembarrer les François dans la Lorraine et l'Alsace, mais lesquels ne luy reuscyront point s'il plait à Dieu. Car on nous mande mesme de Vienne que Rakocy est en campagne avec une puissante armée, avec laquelle il auroit assiegé Caschau4 et promis de secourir les places que nous tenons en Moravie et Silesie, et si avec cela la paix se fait bientost avec Denemarc comme il y en a apparence, toutes ces belles forces de la Suede iront fondre en Allemagne.5
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L'on escrit aussy que le gran[d] Tartar cham fait la guerre aux Moscovites6 et ceux qui sont soubs le gran[d] Turc aux Poulonois,7 ce qui est un bon affaire pour nous.D'icy je ne vous puis dire autre chose que l'apparence grande qu'Uberlinghen se perdra,8 et l'accord des Grisons avec Venise pour la liberté du passage est fait et doit estre ratifié dans un mois,9 si la Republique de Venise ne veut entrer en ligue avec les Grisons comme ils desirent, car alors il faudroit faire tout un autre traitté. Je vous ay dit desja les conditions et par le prochain ordinaire [je] vous en manderay la copie.10 Le cardinal Bichi est à Boulogne, où il confere avec le plenipotentiaire du pape touchant la ratification du traitté de paix naguerres fait à Venise,11 et bientost verrons-nous ce qu'on en doit esperer. On ne laisse pourtant de s'entre-travailler avec des courses et de continuer les levées partout.12 Le pape se porte bien malgré de tant de cardinaux qui en crevent de despit.
Je ne sçai encores rien qui succedera à Benfeld,13 moins quand mon change arrivera: ce qui m'incommode extremement et m'obligera à la fin de partir d'icy honteusement, car il y a derechef quatre ans que mes gages me demeurent en arriere, chose inouie.14 Dieu me console et vous garde de semblable malheur qui m'afflige il y a unze ans en ceste charge.
Je demeure, monsieur,
vostre serviteur tres humble,
C. Marin m.p.
De Zurig, ce 22 de Febvrier l'an 1644.
Bovenaan de brief schreef Grotius: Rec. 18 Martii.
En in dorso: 22 Febr. 1644 Marin.