Monsieur,
Il y a de l'apparence que le roi de Danemarq se trouvera bientost court d'argent, le revenu du Sond et de l'Elbe lui estant couppé, et qu'il n'aura pas ny tant de bons commandeurs, ny tant de bons soldats que la Suede. L'empereur et ses associés pourront remedier à une partie de ces maux, si tant est que le traitté entre eux soit sur le poinct d'estre conclu,2 comme on croit à Francfort.3 Pour moi, je croi que le roi de Danemarq est en estat de prendre un fer chaud4 par la main pour se sauver de l'eau, mais des senateurs et estats de Danemarq je m'en doubte, lesquels ne viendront à ces extremités sinon
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après avoir desesperé de la paix avecq la Suede,5 à laquelle ceux de Provinces-Unies pourront plus operer que monsieur de La Tuillerie.6 J'espere que bientost nous serons esclarcis de Jencapping et de Gottenburg.7 Les autres accident[s] qui là arrivent sont de petite consequence. Il faudra voir à qui sera la mer Septentrionale et Balthique, qui est un grand poinct.Si monsieur Coningsmarck est bien et bien fort rebroussé,8 il pourra servir au marescal de Turaine ou au duc d'Anguien, dont celuy-ci a dix ou douze mille hommes près de Verdun, l'autre a faict à quelques-uns de ses gens passer le Rin à Fribourg, où Tubatel a mis mille gens de pied, trois cents chevaux et de bons magazins tant à Brisac qu'à Rinfeld. Ce qu'aiant faict, l'opinion est qu'il s'ira joindre au duc d'Anguien,9 quelques-uns croyant que la mine d'assieger Fribourg n'a pas esté faicte par les Bavarois à bon escient, mais seulement pour separer les forces fransoises. Bon nombre de canon est arrivé à Brisac et on y attendoit les trouppes de monsieur d'Aumont.10 Hazfeld tourmente la Franconie et est morgne pour ce que ses trouppes ont ordre de servir soubs Galas, lui pour sa personne s'en estant excusé. Or on croit à Francfort que Galas vient en Saxe et que ceux de Brunswig n'ont peu estre disposés à se joindre aux imperiaux. Que Sweinitz s'est rendu a Capaun et que Kemnitz court risque, pressé par Coloredo.
La diversion que le prince d'Orange fera en Gueldre11 ou ailleurs servira grandement aux desseings des François,12 qui differant Bourbourg pour un temps plus sec esperent pouvoir achever leur circonvallation en dix ou douze jours. De ceux qui se sont acheminés vers cette armée trois cents ou plus sont morts de soif et plus grand nombre de Suisses noyé, surpris par les eaux des escluses. On envoye de plus en plus de navires tant vers ceste coste-là que vers celle de Catelagne.
L'ambassade des Provinces-Unies vers le nord sera magnifique et portera coup aux affaires.13 Le present donné à monsieur Gunther est un peu maigre pour sa qualité et credit.14 J'eusse mis la main de mettre en latin la plus ample declaration des causes de la
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guerre de Suede contre Danemarq,15 si je n'avois appris qu'on l'a faict en Suede et cela sur le suedois,16 de quoi la version flamende, comme il arrive, s'escartera un peu et me semble obscure en certains endroicts.17Pour revenir aux nouvelles de Francfort, le duc de Bavieres, quoiqu'autrement soigneux à conserver le droict des princes de l'Empire, ne veut nullement que l'affaire de la paix se traitte par touts les estats, craignant que la compassion avecq la maison palatine n'esmeuve trop les esprits. Et les imperiaux, en cela s'accommodant à ses desirs, font que ny la lettre des ambassadeurs de France, ny celle de madame la landgrave ne soient leues en public. Le cardinal Rosetti passant par Francfort18 vers la conference a esté regalé par cette ville comme on faict aux electeurs. Les deputés de Coulogne et de Wurtzburg l'ont veu. Les gens de l'empereur ont faict les ignorans de sa venue. On publioit à Francfort la prinse de Sweinitz par Capaun, le siege de Kemnitz par Coloredo, et que Rakoczy, abandonné des Turcqs et des Hongrois, ne pouvoit se mainctenir contre douze mille Allemans qui s'opposoient à lui.
Plessis de Bezanson est revenu sans donner des esperances de l'accommodement du duc Charles avecq la France, puisqu'aiant augmenté la guarnison de Worms il a envoyé une partie de ses gens à Beck, une autre au duc de Baviere. On dit icy que le duc d'Orleans a avecq lui trente mille hommes, mais on croit qu'en effect il n'y a que vingt mille, aiant bien besoing de plus grand nombre pour bien guarder le grand espace de la circonvallation de la ville et du grand fort. Ledict duc Charles fait travailler à la fortification de Longuy. Piccolomini, qui aura cy-après tout le commandement des armes, don Melo allant en Espagne, a comme nous aprenons icy à Berchem près de Dunquerque douze mille gens à pied et autant à cheval et a prié don Melo de lui laisser signé de sa main un memorial des trouppes et de l'argent qui s'est trouvé au Pays-Bas à l'arrivée de Piccolomini. En Languedoc on leve de nouveau quatre regiments et on y publie le ban et l'arriere-ban pour faire aller la noblesse en Catalagne. La reine est à Ruelle en la maison de madame d'Esguillon, qui a mené le chariot dans lequel estoit la reine, le roi et le duc d'Anjou. La comtesse de Soissons est malade, sa fille la princesse de Carignan, mariée au prince Thomas, arrivée d'Espagne en France. On dit icy que le sieur Coningsmarck a desfaict une partie des gens du comte de Brouai.
La reine d'Angleterre me faict pitié, qui ne pouvant avoir permission d'hume‹u›r son air natal,19 se tient avecq le prince de Walles à Excester. Je plainds aussi le roi d'Angleterre, qui faict fortifier Oxford craignant le siege, en intention comme on adjouste de se retirer au pays de west d'Angleterre; et Huntlai estant assiegé dans un chasteau, on croit que par sa prise le nouveau parti suscité en Escosse pour le roi trouvera sa fin.
Monsieur de La Millerai a eu des differents tant avecq le comte de Ransau qu'a-
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vecq le marescal Gassion. Un navire danois qui menoit des planchers et d'autres marchandises de Danemarq vers l'Hollande comme il disoit, comme des autres croient vers Dunquerque pour achepter du canon, balles et poudre, de quoi les dicts Danois à present ont grand affaire, a esté pris par les Fransois et mené à Calais, dont les Suedois ne seront pas marris.Je demeure, monsieur,
vostre tres humble serviteur,
H. de Groot.
Le 11 de Juin 1644, à Paris.
Ceux qui assiegent Gravelingue ont pris l'eglise de Mardyck defendue par quarante personnes, font descouler les eaux du quartier de monsieur de La Millerai, proposent de boucher le canal y faisant descendre des bateaux chargez de pierre, prendre après cela le fort d'Oye, le fort de l'escluse, le[s] cinq redoubtes sur le canal, après le grand fort de Philippe, qui borde le canal du costé de la France, et battre la ville avecq quarante canons. L'abondance de vivres et toute sorte de munitions de guerre y est grande à cause de l'abbord des navires d'Hollande. Les ennemis ne dorment pas; ont faict entrer de nouveau huict cents hommes, tellement qu'on croit que la guarnison à present est à quatre mille. Ils gastent aussi les eaux douces qui pourroient servir aux Fransois en y faisant entrer la marine. La surcheance d'armes dure entre le duché et comté de Bourgogne.
En Italie tant ceux de Rome que ceux qui ont esté de l'autre party accomplissent punctuellement la paix: ostent les guarnisons et le canon et les nouvelles fortifications de la frontiere. Le marescal de La Motte-Odincourt est à Belvise deux lieues de Lerida, laquelle il ne sauvera pas selon toute apparence. On dict que les Escossois qui assiegent Jorck sont à vingt mille, mais qu'ils se plaignent des parlamentaires de Londre de ce qu'on leur tient pas les choses promises: un renfort de cinq mille chevaux, de l'argent pour leur milice et une place de seureté.