Monsieur,
Vostre absence de la cour2 m'a privé par deux ordinaires de vos très-aggréables lettres que j'atten[s] avec gran impatience en priant Dieu qu'elles m'apportent désormais la perfection de mon change qu'on traine si à la longue, mesmes après la conclusion de nostre traitté avec la France.3 Je ne vous sçaurois dire comme je suis mal icy et mesprisé de tout le monde qui me voit destitué des moyens et réduit à estre bientost avec ma famille à mendier du pain, si je perd ce que ma femme4 a du reste en Voltoline, et c'est à cause de ma belle charge qu'on estime tant en Suède. Je m'estonne que sur vos remonstrances réitérées on ne vous respond rien de Suède ny à moy, comme si j'estois le plus inutile du monde. J'auray patience tant que je pourray. A la fin il faudra que je me retire chez vous ou aille[u]rs, si mon argent n'arrive dans le mois de 7bre prochain pour me décharger pour le moins de ces gran despences qu'il me faut faire icy.
Par mes précédantes je vous ay adverti de ce que les estats de Ratisbone ont escrit aux Suisses assemblez à ceste heure à Bade,5 où l'ambassadeur de France6 a eu audience, et parce qu'il n'accepte pas le pouvoir que don Schavedra7 monstre du cardinal-infant touchant la neutralité de la Bourgogne,8 les Suisses pour en sortir avec quelque réputation veulent faire un project sur ce suject pour le communiquer à deux couronnes, s'il leur sera aggréable pour traitter de la sorte de l'affaire de ladite Bourgogne, et pour le rappel des trouppes les protestans ne seront jamais d'accord avec les cattoliques, quibus ira sine viribus est vana.9
Les François assiègent Cuneo, y travaillans desjà à la ligue de circonvallation sans que les Espagnols ayent fait jusques à ceste heure aucune diversion qu'ils projettent sur Rossignano ou Carmagnola.
L'ambassadeur nouveau de France10 n'est pas encor arrivé à Rome, mais celuy de Perse11 est desjà à Constantinople avec un gran train ayant eu l'audience du gran vesyr,12 et l'internonce de l'empereur13 a esté renvoyé sans lettres, qu'un capigi passa14 portera pour exhorter l'em-
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pereur, qu'il envoye un gran ambassadeur à la Porte, s'il veut traitter à bon escient de la prolongation des tresves.Les Grisons s'assembleront bientost15 sur le suject du traitté de Feldkirch16 qui est bien misérable et, hormis les Engadinoi[s], je crois que les autres l'accepteront se voyans abbandonnés de tout le monde.
Je me reccom[m]ande à vos bonnes grâces et demeure à jamais, monsieur,
vostre serviteur redevable
C. Marin mp.
De Zurig, ce 19 d'Aoust l'an 1641.
P.S. Je vous supplie de m'advertir de la qualité du nouveau général de Suède, Torsenson,17 et ce qu'avez de bon de la délivrance de nostre Mon. Horn,18 mon très-honoré compère.
Bovenaan de brief schreef Grotius: Rec. 12 Sept.
En in dorso: 19 Aug. 1641 Marin.