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Monsieur,
J'ay receu tout à la fois vos deux lettres du 5 et 12 de ce mois,2 et vous demeure bien obligé de ce que madame vostre femme a fait pour moy, qui véritablement suis digne de compassion parmy tant d'incommodités qui me pressent icy, n'ayant aucune asseurance d'en estre bientost soulagé. Mon.r Mokel3 dit bien que vers le Nouel je recevray quelque chose de Hamburg, mais il m'en a desjà entretenu depuis si longtemps que je ne sçai qu'en croire, puisqu'il proteste que de rentes de Benfeld il ne tire tant qu'il puisse estre payé de son gage de ceste année, moins de m'accomoder de deux cent dalers que je luy ay demandé. Je suis marry que mes défluxions quand et la saison contraire empêchent mon voyage; sans cela je serois desjà chez vous, pour me délivrer pour le moins de ces despences qu'il me faut faire icy à l'exemple des autres ministres de ma condition, qui ont beau à faire ayans un gage de trois mille dalers par an, et n'entretien[n]ent pas de cela autre train que moy, qui oultre les despences de ma charge ay ma famille propre. Mon.r Heuf4 ne perdroit pas tant, si pendant que ces descomtes viennent, il me voulust accom[m]oder de deux cent dalers sur vostre parole qui y pourroit contribuer beaucoup, car vous ne sçaurés croire quelle peine qu'il me faut avoir in emendicanda hinc inde pecunia cum summo et honoris et rei privatae dispendio, les marchans ne voulans rien plus donner sans gage à cause des deubtes du résidant d'Angleterre5 qui montent à 20 m. florins sans qu'on sçache qui le payera. Je suis malheureux en tant, et surtout en ce qu'estant si mal payé je ne puis habiter ès Grisons où on peut vivre à bon marché, et où ma femme6 pourroit avoir des meilleures commodités qu'elle n'a icy parmy ceste excessive cherté qui m'emporte chasque mois plus de cent cinquante dalers oultre l'extraordinaire. Patience.
Mon.r l'ambassadeur de France7 ayant receu une responce qu'il dit estre fort favorable sur le suject des lettres de messieurs les Suisses qu'ils avoyent escrites en faveur des Comtois, convoque une diète a Soleure8 qui s'y doit tenir dans quinze jours, le roy demandant une levée conforme l'alliance,9 qui sans doubte don[ne]ra de l'exercice aux Suisses, dont le[s] Petis Cantons ont desjà permis le contraire à l'empereur et l'Espagnol qui feront tout ce qu'ils pourront pour empêcher ladite levée, la tenant pour une infraction de leur paix héréditaire qu'ils ont avec la Suisse,10 contre laquelle je voy que se va préparer une tempeste générale qu'elle par son procédé attire sur soy.
Les Grisons sont aussy très mal avec l'Espagnol qui ne leur paye ni des pensions ny leur soldats qui sont dans le Milanois, à l'occasion de quoy le colonel Molina11 ayant parlé un peu plus librement, le gouverneur de Milan12 luy a dit que s'il ne respectoit point sa patrie, il luy feroit couper la teste. Durant la monstre on a aussy enfermé à part les officiers Grisons et fait passer la monstre aux soldats dans le monastère afin de ne pouvoir se servir des passevolants.
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Les impériaux sont retranchez autour de Hohetvil, estant desjà à couvert du canon, et on craint que la place se perdra, si en peu de temps elle n'est point secourue. Mon.r d'Erlach13 s'en est retiré ayant peu de gens pour forcer l'ennemy d'en desloger. Voilà où nous sommes.
Je demeure, monsieur,
le vostre
C.M. mp.
De Zurig, ce 18 de 9bre 1641.
Les Petis Cantons ont osté leur sauvegardes de Dalspurg et Zvingen ayans veu qu'on les en vouloit chasser.
In dorso schreef Grotius: 18 Nov. 1641 Marin.