Monsieur,
Ceque i'ay tousiours appréhendé, vous me le mandé par vos lettres du 3 courrant2, qui m'apprenent les causes du mescontantement, qui commence à naistre en Suède.
La France s'est gouvernée tousiours durant ceste guerre bien sagement, mais après la mort du feu duc Bernard3 elle commence à bander son arc un peu violamment avec son procédé desgoustant tout le monde. Ie veux néantmoins croire qu'elle s'accommodera aux conseils de la Suède et ne luy donne point de suject de faire sa paix apart, pour conduire tous deux leurs affaires à une heureuse fin, qui consiste en une raisonable paix et laquelle on ne devroit, à mon advis, iamais faire sans oster l'empire à la maison d'Austriche, restablir l'Allemagne la Boiime avec ses provinces coïncorporées en première liberté, ce qui seroit enfreindre l'Austriche par racine, qui fomente l'appétit desréglé des Espagnols en Italie. Autrement si nous laissons ceste maison en la possession de ce qu'elle a acquis par la paix de Prague4, ie ne sçay pourquoy est-ce-que nous avons fait la guerre et l'Austriche aura d'ores en avant tousiours des moyens pour troubler l'Europe et corriger à l'advenir ses fautes commises en ceste guerre.
Parmy nous court un bruict que la France prétend aussy d'avoir Benfeld et Hohetvil cequi met en gran alarme ces peuples, qui ne croyent autrement sinon qu'elle veut à eux faisant come des sçavants pêcheurs, qui quand ils veulent prendre des bons poissons, mettent leur filets bien loing tout à l'entour, à fin qu'ils ne puissent eschapper.
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Pour ce qui est de Hohetvil on se formaliseroy sur une lettre que monsieur Erlach5 doit avoir escrit au gouverneur6 d'icelle place louant son courage et la brave conduite qu'il a fait paroistre en la défence d'une si importante place l'exhortant qu'il y veille continuer et s'asseurer qu'il ne manquera de reccomander sa personne en France pour luy faire avoir une pension. Mais le gouverneur luy a fait responce en Allemand, disant tout court qu'il veut conserver la place à ceux desquels il l'a receue. Il fait aussy des continuelles provisions de ce qui luy faut pour estre pourveu de tout en cas d'un nouveau siège, dont l'on menace à cause de ceste armée qu'on amasse dans le Tyrol, où sont desià arrivez mille à pied et 300 chevaux, le mesme faisant le gouverneur de Milans7, qui se renforce de tous costés pour sortir au premier temps en campagne et chasser les François ceste année du reste, qu'ils tiennent en Italie. L'on traitte néantmoins tousiours avec les princes de Savoye8 pour les accomoder avec madame9, à quoy toutes fois l'Espagnol n'a pas gran envie à cause de tant de places, qu'il faudroit rendre et que la France ne voudra céder Casal sans une paix générale.
Les Grisons font difficulté d'envoyer leur gens dans Tyrol disans que dehors les Estats d'Espagne ils ne soyent obligez de servir là, où néantmoins leur alliance les oblige encor à cecy contre les princes qui sont en ouverte guerre contre le roy d'Espagne. Les pauvres gens se sont voulus chastrer pour faire despit à la France, mais il[s] n'ont fait du mal qu'à eux-mesmes et à tant de gens de bien en Voltoline de la religion qu'ils ont trahis meschamment.
Le prétendu ambassadeur10 des princes de Savoye est arrivé en Suisse à Ury; si les cantons Cattoliques le reçoivent, les voilà en rupture avec la France, qui aura des nouveaux ennemys et qui viendront bien à propos à l'Espagne.
Le gran Seigneur11 a esté bien malade l'apoplexie l'ayant tellement abattu qu'il demeura deux heures come mort et hors de sens, ce que les Turcs de la loy attribuent au vin, dont il s'estoit desmesurement délecté, l'ayans pourtant obligé par un veu solennel de n'en boire plus. A cest' heur il se porte mieux.
Le vaivoda de Valachie12 ayant esté desmis de l'administration d'icelle principauté, qu'on change chasque trois ans, ne la veut point quitter, se préparant à maintenir par force d'armes contre le commandement du gran Seigneur. Nous verrons ce qui en sera, aussy bien s'il est vray que le gran Seigneur veut avoir en la place du Ragozy13 Moses Zeckel14, réfugié à la Porte, et dont les ancestres ont esté prin[c]es de la Transylvanie.
Je continue à escrire à monsieur Heuf15 pour deux cent dalers, dont ie voudrois qu'il m'accomodast, pendant que le reste vient.
Je vous supplie d'y joindre vos faveurs en me croyant toute ma vie, monsieur,
le vostre
Marin ms.
De Zurig, ce 8 de Jenvier 1640.
In dorso schreef Grotius: 8 Ian. 1640. Marini.