Monsieur,
Vostre lettre du 10 courrant2 m'a contristé grandement par l'advis que me donnez de la continuation de la maladie de nostre gran-chancelier3 et n'estoit que le mal de la goutte
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est plustost signe d'une longue vie que de la mort prochaine, cela m'affligeroit bien avant. Je prie Dieu avec vous qu'il luy veille prolonger sa vie et nous conserver ce gran homme, qui est le vray mécaenas de tous les meilleurs esprits et gens doctes y ayant peu de ses semblables en Suède. Vous m'obligeray grandement de m'informer plus particulièrement de ce qui en est de vray et s'il se porte mieux. Si je sçavois la qualité que portent messeigneurs son fils4 et frères5, ie leur voudrois escrire, ayant suject particulier de le faire.Le comte de la Mante6, ambassadeur extraordinaire des princes de Savoye7, est arrivé n'y a guerre à Ury où le colonel Amrin8 au desceu du magistrat de Lucerne l'alla trouver et recevoir et ceux d'Ury ne l'ayans pas voulu recognoistre pour tel sans une diète de tous les six cantons cattoliques il s'en est parti tout mal contant avec son conducteur, qui l'a introduit tout secrètement et de nuict dans la ville de Lucerne dans sa maison, de quoy il est à cest'heur appellé ambassadeur de nuict.
Sur ce bruict de son arrivement l'ambassadeur ordinaire de Savoye9, son parent, se présenta devant le sénat luy remonstrant la justice de madame de Savoye10 et l'injustice des princes, le mesme a fait l'interprète11 de l'ambassadeur de France12, qui s'y est presenté avec des lettres du roy par lesquelles il se déclare catégoriquement ennemy de tous ceux qui accepteront cest nouveau ambassadeur, donront assistance aux princes et empêcheront que le colonel Amrin ne soit chastié selon son démérite, sur quoy le sénat a bien donné quelque responce en faveur du roy, mais ambigüe et encor qu'il ayt renvoyé les lettres de créance de l'ambassadeur de nuict sans les avoir mesme voulu ouvrir, on craint néatmoins que l'argent d'Espagne ne face tant iouer parmy eux qu'ils l'acceptent dans la diète qui bientost se tiendra à Lucernes aux despens dudict ambassadeur, pour fosforiser la cause duquel le marquis de Leghanès13 a donné ordre à l'ambassadeur d'Espagne14 qui y est de faire tout ce qui peut afin qu'on l'accepte envoyant pour mesme suject à la diète le colonel Zveyer15 lucernois et espagnol de faction, qui avec le colonel Amrin et d'autres de sa faction doivent faire autant de leur part. J'atten avec impatience l'issue de ceste comédie qui n'estant bien vuidée se pourroit fort aisément convertir en une tragédie.
I'y ioinct ce que i'ay de Constantinople16 où l'on compose une armée de 400 voiles et 100 m. hommes qui doivent desbarquer en Sicile. Le Gran Seigneur17 se porte bien et les vases qu'il a fait rompre sont estimez de la valeur de 60 mille patagons.
Le vaivoda de Valachie18 après avoir fait tailler en pièces le chiaus19 qui a esté envoyé par devers luy pour luy intimer sa desmission, s'est retiré sur un chasteau confinant avec la Transylvanie où le passa de Silistrie20 a ordre de le poursuivre. Le patriarche de Constantinople21 a esté relegué à Algiers mains et pieds enchainez portans sur soy le peste,
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jugement de Dieu de sa perfidie qu'il a fait paroistre sur son prédécesseur Cyrillus22.Pour fin ie ne veux abmettre nullement de vous faire souvenir de ce que ie vous ay prié à l'endroit de monsieur Heuf23 afin qu'il m'accommode de 200 risdalers pour le moins, pendant que le reste viene en ayant si gran besoing durant ceste cherté en Suisse qui me consume gran argent chasque mois.
Ie demeure, monsieur,
Tout le vostre
C. Marin ms.
De Zurig, le 16/26 de Jenvier l'an 1640.
Boven aan de brief schreef Grotius: Rec. 12 Febr.
En in dorso: 26 Ian. 1640. Marin.